En dépit de
ratés assez consternants, allant du grand (?) Charles Aznavour se
livrant – à propos de la moumoute de Charles Boyer – à des
apartés caméra dignes d’un cabot de troisième zone à une fâcheuse
séquence " dîner de cons " dont Paulette
Dubost, cent ans bientôt et une certaine propension à ne plus
parler que de fric et de fesse, s’est retrouvée en quelque sorte
l’invitée de choix, l’hommage circonstancié rendu par Michel
Drucker à la toujours épatante Danielle
Darrieux, quelques semaines avant la sortie annoncée du
film Pièce montée, a été riche en moments assez magiques,
ayant notamment permis d’entrevoir via de trop courts magnétos
des extraits de films peu (Occupe-toi d’Amélie… !)
ou pas du tout (Le Bal) visibles. C’est dire si notre
plaisir, plutôt de l’ordre de l’indicible, s’est trouvé
quelque peu gâché, à l’arrivée, par les mauvaises nouvelles
données par l’invitée d’honneur quant à l’état de santé
de Mila Parely, comédienne que, de Raymond Chirat à Italo Manzi en
passant par l’auteur de ces lignes, nous adorons à L’@ide-Mémoire.
Il semble qu’il soit désormais trop tard pour pouvoir
raisonnablement espérer que l’élégantissime Mila sorte de sa
nuit, mais rien n’interdit de se remémorer, tant qu’elle encore
est parmi nous (et même si c’est de moins en moins vrai), la comédienne
exceptionnelle, fine et sensible, belle et fantasque, qui assista de
sa fenêtre à l’incendie du Reichstag, chanta outre-Atlantique
avec l’orchestre de Rudy Vallee, faillit porter un enfant de Jean
Marais, sut cultiver les rencontres avec les plus grands metteurs en
scène et anima infatigablement, des années durant, les Rencontres
cinématographiques de Vichy. Hommage. |
L’Orientale,
la silencieuse, sultane ou esclave qui distille les songes aux
hommes fatigués, la nostalgie aux marins désœuvrés, c’est
Raphaële, femme des ailleurs et des désespérances. Une sylphide
échappée d’on ne sait quel harem, qui s’allonge, indolente,
sur les coussins de la Maison Tellier. Magicienne, elle confère un
éclat trouble à ses colliers de pacotille, à ses bracelets de
verroterie. Les parfums d’Arabie entêtent au jeu de ses écharpes.
Elle se tait, écoute encore ceux qu’elle endort doucement. Raphaële
fournit à la Maison Tellier un exotisme de bon aloi. Les notables
la craignent comme on craint un reptile, mais les matelots quêtent
ses enlacements. De quels lointains rivages la Belle Juive de
l’ami Maupassant s’est-elle évadée ? Elle est à
l’image de l’interprète. L’envoûtante Mila Parely acceptait
le moindre rôle, sûre de le marquer et de l’imposer. Elle a su,
au temps de Vichy, auréoler de beauté, dans des toilettes
vaporeuses, les plus romanesques démons : ceux qui épouvantaient
Monsieur des Lourdines et la famille Roquevillard. À la veille de
la défaite, elle trépidait dans les salons de La Règle du jeu.
Passé l’orage, elle s’est pavanée dans les atours Grand Siècle
de l’orgueilleuse Félicie, sœur de la Belle en attente de la Bête.
Elle a tout joué avec une apparente désinvolture et un brillant
jamais terni : demoiselle du pavé (Circonstances atténuantes),
tricoteuse cruelle (Remontons les Champs-Élysées), nonne
compatissante (Les Anges du péché), Tarquine de L’Esclave
blanche, Yada du Lit à colonnes… Guitry l’admirait,
comme Cocteau. Son rôle dans Le Plaisir fut son chant du
cygne. Elle s’est tue, sans regret, nous abandonnant Raphaële, la
fascinante, aux yeux mi-clos et au corps alangui. RC
Née Olga
Perzinsky à Paris le 7 octobre 1917, la future Mila Parely
interrompt très jeune ses études de médecine pour effectuer des débuts
remarqués sur les planches bruxelloises, et s’est déjà fait
connaître en tant que chanteuse de l’orchestre de Rudy Vallée
lorsque Pierre Chenal lui offre son premier véritable rôle à l’écran,
celui de la femme de chambre du Martyre
de l’obèse. L’année suivante, parée d’une coiffure
blonde à la Caracalla et nantie d’ailes en plumes de cygne, elle
est, sous la direction de l’éternel exilé Fritz Lang, l’ange
dactylographe de Liliom. Ensuite, ce sont le départ pour les
États-Unis, une microcarrière hollywoo-dienne qui ne laissera guère
plus de traces que celles entreprises à la même époque par Jeanne
Aubert ou Katia Lova, puis le retour en France où l’attendent
d’autres rencontres : Siodmak, Renoir, Duvivier, Guitry,
surtout, qui la choisit au pied levé pour remplacer Arletty dans Remontons
les Champs-Élysées avant de la réengager au théâtre (Un
monde fou, 1939) et à l’écran (Donne-moi tes yeux,
1943). C’est l’amitié amoureuse, indéfectible, qui unit Mila
l’androgyne (tellement féminine pourtant) à Jean Marais jusqu’à
la disparition de ce dernier. C’est la rencontre décisive avec le
coureur automobile Tasso Mathieson, qu’elle épousera et qui
restera pour elle l’unique, le grand amour de toute une vie. Ce
dernier victime d’un grave accident, elle le suit dans sa
convalescence portugaise, et pour ce faire choisit de mettre prématurément
fin à sa carrière, à 34 ans à peine. Deux de moins que Garbo au
moment de ses adieux aux studios. Ceux de Mila, pourtant, ne furent
pas irréversibles : on la revit chez Terence Fisher d’abord,
beaucoup plus tard chez Daniel Vigne, et même, par intermittence,
à la télévision (La Grande Dune).
Tombée amoureuse du kiosque à musique de Vichy, où, petite fille,
elle passait ses vacances, elle a fini par y établir ses quartiers
à l’année… pour le plus grand regret des cinéphiles, obnubilés
par l’image et le mystère de cette féline aux yeux de braise,
dont on ne sait toujours pas, au fond, si elle était chatte
siamoise, léopard d’Afrique ou panthère royale d’Insulinde. ADL |