Elle
était née Renée Leiba et avait grandi à la Bastille, entre des
parents d’origine juive roumaine (père tailleur, mère
couturière) et une sœur plus jeune qu’elle. Passée par divers
petits métiers, allant du secrétariat au journalisme, en passant
par la danse, elle avait, comme plus tard Mireille Mathieu,
Georgette Lemaire ou Amandine(uh) Bourgeois été révélée par un
radio-crochet, et de là effectué ses premiers d’interprète
professionnelle sur scène. Signée par Pathé en mai 1940, mais
contrainte peu après à l’exil par les lois raciales de Vichy,
réfugiée en Zone Sud, puis à Lausanne, c’est finalement loin de
France qu’elle enregistre ses premiers succès, De l’autre
côté de la rue, Insensiblement, Exil, 14
Juillet… Entre temps, à l’instar des parents d’Esther
Gorintin, disparue trois semaines après elle, son père et sa jeune
sœur, victimes de la rafle du Vel’ d’Hiv’ eu juillet 1942,
ont disparu dans les camps de la mort. Plus tard, Renée Lebas
évoquera la Shoah (il semble qu’elle ait été la première à le
faire via le disque et la scène) à travers une chanson – La
Fontaine de Varsovie – écrite et composée pour elle par Emil
Stern et Eddie Marnay, et fera fréquemment appel au folklore
yiddish ayant bercé son enfance. Rentrée en France dans l’euphorie
de la Libération, elle est première artiste à enregistrer un
disque dans des studios parisiens et, forte d’un répertoire
composé avec autant de soin que d’exigence, entame dans le même
temps une tournée en règle des hauts lieux de la Capitale,
enchaînant passages à l’ABC, au Théâtre de l'Étoile, à l’Européen,
à l’Alhambra, à Bobino… Au final, elle aura interprété
Francis Carco, auquel elle consacrera un album entier, et Francis
Lemarque, son ami du temps des associations ouvrières fleuries dans
le sillage du Front Populaire, Charles Aznavour et Charles Trenet,
dont elle aura été la première à chanter La Mer (que la
maison de disques du Fou chantant l’empêchera d’enregistrer
afin d’éviter toute forme de " doublon "),
Jacques Brel et Boris Vian, qui lui apporte sur un plateau La
Valse folle, puis tard rebaptisée par lui La Valse à Renée.
Dans un portrait circonstancié paru dans L’Humanité en
2004, Hélène Hazera expliquera en partie son immense popularité,
au cours des quinze ou seize ans qui suivirent la Libération, par
sa façon, quasi révolutionnaire pour l’époque, de
(ré)concilier Rive Droite et Rive Gauche : d’un côté, des
refrains entraînants, faciles à retenir, de l’autre, les textes
plus ardus – Elle tourne la Terre – d’un Léo Ferré
débutant auquel, le nez décidément creux, elle est la première
à donner véritablement sa chance. Respectée de ses pairs, elle
était l’une des deux seules chanteuses – avec Lucienne Delye
– à laquelle Piaf permettait à Aznavour d’apporter ses textes.
Brel, de son côté, confiera volontiers préférer sa version de La
Valse à mille temps à la sienne. En 1963, s’estimant
probablement trop âgée pour chanter l’amour, Renée Lebas
effectue sur la pointe des pieds ses adieux à la scène, se
consacrant d’abord à la production d’artistes débutants – au
choix Régine, qui fera elle aussi beaucoup pour concilier folklore
yiddish et variété française, ou Serge Lama – puis à l’importation
de films d’animation tchèque. Disparue dans sa 93ème
année et dans la plus absolue discrétion, Renée Lebas aura en
définitive connu le sort des artistes trop tôt retirés, dont on a
peu à peu oublié le visage (vu si rarement à l’écran de
surcroît), et dont le nom lui-même finit par ne plus dire grand
chose aux moins de soixante ans. Les chansons, du moins les plus
connues d’entre elles, restent, dont le compact disc a, via de
très judicieuses rééditions de fonds de catalogues (expression
horrible s’il en est…), su pérenniser la trace. Il n’empêche :
une grande dame s’en est allée bel et bien dans allée dans le
siècle… un siècle qui, par la force des choses, n’était plus
tout à fait le sien. |