L'@ide-Mémoire

ENCYCLOPÉDIE DU CINÉMA FRANÇAIS

 

 

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Hommages
 

 

Nathalie Nattier

Véritable nom : Nathalie Belaieff.

Née à Paris le 19 mai 1924.

Veuve de Robert Weill, dit Robert Willar (1923-2008).

Décédée à l’hôpital de Lagny-sur-Marne (Seine-et-Marne) le 19 juin 2010.

Inhumée au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne).

Disparition dans la plus absolue discrétion de notre amie Nathalie Nattier, décédée dans sa 87ème année à l’hôpital de Lagny-sur-Marne le 19 juin dernier. La femme, délicieuse, drôle et plutôt bonne vivante, était, dans le privé, l’exact opposé de la tragique Malou des Portes de la Nuit, qui lui valut ses plus belles "unes" de magazines, avant de la précipiter sic transit gloria mundi du sommet de l’affiche et des productions de prestige dans la série B et les emplois plus légers auxquels elle avait, paradoxalement, toujours aspiré. Retour ici, entre photos et confidences, sur l’étonnant – et somme toute méconnu – parcours d’une femme fatale qui se rêvait (peut-être) actrice comique et sut (assurément) faire montre d’humour jusqu’aux dernières heures d’une longue existence plutôt bien remplie. Nos pensées vont, comme il se doit, à ses deux filles, les comédiennes Tania Torrens et Barbara Willar, ainsi qu’à leurs familles respectives.

Bon, en somme, je suis là pour parler de moi (rires).

Tant qu’à faire, oui.

Ce n’est pas toujours facile, mais enfin, je vais essayer. On peut d’abord dire que je suis d’origine russe. Mon père, ma mère, ma grand-mère, mon arrière-grand-père, tout le monde était russe. En réalité, ils n’étaient pas vraiment russes. Ils étaient russes "de sang", mais naturalisés finlandais depuis des générations, parce que nous avions des usines de bois, des forêts entières en Finlande : mes arrière-arrière-grands-parents et mes grands-parents faisaient le commerce du bois, ils descendaient la Volga avec des péniches. J’aurais bien aimé vivre à cette époque, ce devait être extraordinaire, surtout que j’adore le bois. Je ne sais pas si vous avez vu mais dans mon jardin, j’ai essayé de planter des lauriers, parce que ça me rappelle un petit peu, non pas les forêts finlandaises, mais… un petit rappel de bois, voilà, c’est bien. Je suis donc russe-finlandaise, de papiers finlandais, mais russe d’origine.

Votre véritable patronyme est Belaïeff, je crois…

Oui, justement, j’ai un arrière-grand-père célèbre, le grand-père Belaïeff, fondateur des éditions musicales du même nom, qui étaient connues dans le monde entier, si bien que quand j’ai voulu prendre des cours de chant, je me suis présentée au Conservatoire de Paris qui était sur les Quais, et on m’y a accueillie en poussant des hauts cris : "Belaïeff" ! … "Belaieva" !, et j’ai pu suivre les cours complètement gratuitement grâce au seul nom de mon arrière-grand-père. Ce qui tombait plutôt bien, parce qu’à l’époque ma famille était presque totalement ruinée.

La Révolution de 1917 ?

Exactement. Mes parents sont venus en France en 1917 ou 1918, je ne peux pas vous dire exactement, je n’étais pas née. En revanche, je peux vous raconter une anecdote au sujet de ma mère et de ma sœur aînée…

Avec plaisir.

Elles étaient séparées de mon père, et vivaient très dangereusement, parce que les bolcheviks poursuivaient tous ceux qui avaient de l’argent. Et mes parents, qui avaient une très grosse fortune, avaient réussi, je ne sais pas comment, à tout convertir en bijoux. Une nuit, elles entendent crier de l’extérieur : "Les voilà, les voilà, les pilleurs, les violeurs, ils arrivent, ils arrivent, ils arrivent". Ma mère se lève rapidement, va cacher la sacoche de bijoux dissimulée derrière les volets, et dit à ma sœur de faire la malade. "Mais comment, Maman ?" – "Gémis, gémis, gémis je te dis". Bref. Les bolcheviks entrent, voient deux femmes seules couchées, et ma mère hurlant "Ma fille, ma fille, faites quelque chose, je vous en supplie, allez chercher un docteur, elle a la typhoïde, elle est à la mort, faites quelque chose, je vous en supplie, la typhoïde, elle va mourir". Et ma mère pleurait, et ma sœur pleurait… J’aime mieux vous dire qu’ils ont pris leurs jambes à leur cou. C’est ainsi que ma mère a pu ramener une petite fortune en France, fortune qu’elle a très rapidement dépensée chez Paquin, le Christian Dior de l’époque. Mon père, qu’elle avait retrouvé, je ne sais pas comment, a ouvert de son côté un restaurant qui s’appelait "la Maisonnette". Comme à la fin, il invitait tout le monde, nous nous sommes retrouvés dans la misère, et mon père est parti avec une autre femme à Nice. Évidemment, ma mère, qui était futée comme tout, ne voulait pas lui accorder le divorce. Elle l’a appelée en lui disant que ma sœur avait la scarlatine, et comme mon frère aîné en était mort en Russie, mon père n’a fait ni une ni deux. Il a rappliqué à Paris, il y a passé une nuit avec ma mère, et je suis née de cette nuit-là de 1923. Seulement, comme la maîtresse de mon père a débarqué en voiture le lendemain et l’a aussitôt rembarqué pour Nice, je ne l’ai pratiquement pas connu. Et puis, l’argent fondant de plus en plus vite, ma mère et ma sœur se sont retrouvées très rapidement dans une misère totale.

Oui, mais en robes de chez Paquin.

Même pas : vendues depuis longtemps. Je me revois dans une mansarde de la rue de Clichy, même pas une chambre, il n’y avait pas de lumière, nous nous éclairions à la bougie. Je faisais mes devoirs dans le couloir parce qu’il disposait d’une sorte de plafonnier. Quand il n’y avait plus du tout d’argent, ma mère se débrouillait pour me placer à droite, à gauche, chez des cousins ou des amis. Là-dessus, ma sœur, qui avait quinze ans de plus que moi, se marie. Avec un Cosaque. Il faut que je vous dise que jusqu’à treize ans, je n’avais jamais parlé russe, je me sentais complètement française dans l’âme. Mais mon beau-frère, le Cosaque, m’a très vite appris le russe. En huit jours.

Huit jours ? Respect.

Avec des petits coups de cravache, des gifles… Je n’aime pas beaucoup dire ça, mais j’ai eu une enfance assez malheureuse. J’ai été trimballée de famille en famille, à droite à gauche… Il y a une chose qui m’a traumatisée longtemps, c’est le coup des chaussettes. Est-ce que vous savez que les chaussettes peuvent être un drame pour une petite fille ? Vous allez dans une famille où l’on vous dit que les chaussettes se rangent dans les chaussures. Le lendemain, dans une autre famille, la personne vous dit : "Mais qu’est-ce que tu fais ? ! Des chaussettes dans les chaussures ? ! On les met au bord du lit." – "Ah bon. Excuse-moi". Et une troisième : "Les chaussettes, ça se plie une à une et ça se pose sur une chaise". Je pourrais vous donner des exemples interminables. De temps en temps, c’était les coups. Une fois où je m’étais trompée… Je peux vous raconter des histoires tristes, ça ne vous gêne pas ?

Bien au contraire.

C’est tellement lointain, tout ça, qu’elles ne sont plus tristes pour moi. J’ai d’ailleurs écrit un roman, que j’avais intitulé La Jouissance du Mal, que je n’ai jamais publié parce que je trouvais que c’était trop mal écrit, mais je me suis défoulée en l’écrivant, et maintenant, c’est fini, ce ne sont que des souvenirs… Et donc, je reviens à mon histoire de la chaussette. Un jour, le Cosaque me hurle : "Tu as mis les chaussettes dans les chaussures. Mais je t’ai dit qu’il ne faut jamais faire ça. Les chaussettes, ça se met au bord du lit". Et il m’a battue, il m’a battue, il m’a battue. Je commençais à avoir un peu de sang. Ma sœur, qui était très religieuse, mais alors vraiment très très religieuse, est venue me consoler en me disant : "Ma petite chérie, comme tu souffres ! Mais tu sais, si tu souffres sur cette Terre, c’est bien, le bon Dieu, il voit tout ça, il est bien avec toi, tu iras le rejoindre. Tu dois remercier le bon Dieu de t’envoyer tout ce qui t’arrive. Plus tu seras malheureuse ici-bas, plus tu seras heureuse plus tard." Depuis, j’ai un énorme problème avec la religion, les popes, les curés, les bonnes sœurs... Enfin bref, de fil en aiguille, après avoir quitté la Communale, j’ai atterri chez le directeur du Lycée russe, qui a d’ailleurs essayé de me violer. Seulement, comme je savais très bien me défendre, il n’est jamais parvenu à ses fins. J’ai vécu quelque temps chez lui, par charité, comme on disait alors, et j’ai beaucoup chanté là-bas. Les Russes orthodoxes sont très pratiquants, comme ma sœur. Je dirigeais les chants à la messe, j’ai découvert que j’adorais chanter et on s’est avisé que j’avais une très jolie voix, et même une voix très forte. À la suite de quoi, j’ai chanté à la rue Daru, dont le directeur des chœurs m’avait remarqué en venant donner des cours au Lycée russe. C’est là que j’ai fait la connaissance d’Annenkov.

Le décorateur de cinéma ?

À l’époque, c’était surtout un peintre très connu. Il avait peint Staline, Lénine, Gorki, tous les grands de l’époque. C’était un ancien bolchevik convaincu qui avait fui l’Union soviétique dans les années Vingt, après avoir compris sur le tard que le régime communiste n’était pas tout à fait ce dont il avait rêvé. Il est tombé amoureux de moi, il m’a prise sous son aile, et il a monté trois opéras un peu pour moi : Eugène Onéguine, de Tchaïkovski, où je chantais dans les chœurs, La Dame de pique, également de Tchaïkovski, où je faisais beaucoup de figuration, et un troisième de Moussorgski, dont j’ai oublié le titre, et dans lequel il avait écrit une chanson en russe pour moi. J’y faisais une bonniche qui balayait en chantant. Mes premiers pas sur les planches. Annenkov m’a dit que j’étais douée et que je devais absolument entrer dans un cours, et j’ai atterri chez René Simon, qui s’est tout de suite emballé sur moi, il me trouvait quelque chose de Greta Garbo. Et comme il ne jurait que par "l’emploi", il me disait faite pour les héroïnes tragiques russes et scandinaves, les jeunes premières de Tchekhov et les personnages d’Ibsen. En dehors de l’emploi, qui était vraiment son cheval de bataille, il nous faisait faire beaucoup d’improvisations, et adorait me voir faire la peur. Pendant les deux ans que j’ai passé là-bas, ça a été une sorte de leitmotiv. Dès qu’un visiteur venait, il me disait : "Belaieff, en scène, fais la Peur". Et je faisais la Peur. J’y ai fait mes classes, avec des camarades qui ont connu les carrières que l’on sait, Marthe Mercadier, Maria Pacôme, Nadine Alari… Il y avait un professeur qui s’appelait Dars, qui enseignait aussi à l’IDHEC que dirigeait Marcel L’Herbier, et qui m’a poussée à suivre en parallèle les cours de la Section Acteurs de l’institut – qui a cessé d’exister après la Guerre. On travaillait avec des caméras et on tournait vraiment. La suite se passe dans un métro…

Vous aviez déjà tourné à l’époque ?

J’avais failli faire, à seize ans, de la figuration dans Mam’zelle Bonaparte de Maurice Tourneur, avec Edwige Feuillère, mais j’étais tellement tétanisée par le trac que j’étais restée enfermée dans les loges et qu’il n’avait pas été possible de m’en faire sortir. En revanche, deux ans plus tard, j’ai traversé l’écran en robe XIXe dans Un seul amour de et avec Pierre Blanchar. Ensuite, juste après la guerre, j’ai tourné des toutes petites panouilles, comme dans Nuits d’alerte – je vendais des livres à Hélène Perdrière – ou Mission spéciale, où je me faisais tuer dans une cave au début du film. Et donc, je suis donc dans ce métro, où un monsieur vient me saluer. " Bonjour, Madame. Permettez-moi de me présenter, je suis Louis Daquin. " – " Bonjour, Monsieur. " – " Vous me connaissez ? " – " Oui, Monsieur, vous pensez, je vais au cinéma tous les jours, je suis une fan de cinéma " – " Vous savez, vous avez un physique de cinéma, vous devriez songer peut-être, à songer à en faire. " – " Mais, Monsieur, je suis comédienne, je suis déjà élève dans deux cours d’art dramatique et j’ai déjà tourné trois ou quatre petites choses. " – " En ces conditions, je vais vous emmener dans un cours qui est très bien, et j’ai l’impression que c’est tout à fait ce qu’il vous faut, parce qu’il est tenu par une femme formidable, qui s’appelle Solange Sicard, et qui sait très bien trouver la personnalité des gens, et peut-être cherchez-vous encore votre personnalité. " C’est comme ça que j’ai atterri chez Solange Sicard, qui m’a donné de très bons conseils, mais qui m’impressionnait beaucoup, parce que c’était une femme assez forte, avec un boitillement très prononcé, on m’a dit récemment qu’elle avait eu la polio. Bien que je ne sois pas restée très longtemps dans son cours, je lui dois beaucoup, peut-être plus qu’à René Simon, parce qu’elle allait davantage au fond des choses. Là-dessus, je fais la connaissance de Christian Stengel, qui était directeur de production chez Pathé et réalisait lui-même des films. M’ayant vue en audition chez Solange Sicard, il m’a confié un petit rôle dans Seul dans la nuit, qu’il s’apprêtait à tourner et pour lequel il cherchait une jeune femme capable de jouer dans une scène dramatique. À la même époque, Daquin, qui m’avait déjà fait venir deux ou trois fois chez lui pour m’indiquer quelques scènes, m’a engagée sur Patrie, un très beau film en costumes avec Maria Mauban, que je devais retrouver plus tard en d’autres circonstances, et dont j’interprétais la soubrette. Un peu grâce à Stengel, d’ailleurs…

Comment cela ?

Il travaillait toujours pour Pathé, et un jour, il a appris que Marcel Carné cherchait quelqu’un pour remplacer Marlene Dietrich, qui avait fini par refuser le premier rôle des Portes de la Nuit, ainsi que Gabin, et qu’ils en étaient au 90ème bout d’essai non concluant : toutes les jeunes comédiennes en vue du moment étaient venues auditionner. Et Stengel a dit à Carné : "Écoute, moi j’ai quelqu’un avec qui j’ai tourné Seul dans la nuit, qui me semble très bonne comédienne et qui a un petit peu le genre de Marlene, tu ne veux pas la voir ?". Et il montre aussitôt à Carné une photo de moi dans son film, sur laquelle, je suis couchée dans un lit d’hôpital et où l’on voit seulement mon menton et mon nez. Du coup, Carné, après avoir rembarré Stengel ("ce n’est pas une actrice, c’est un menton !"), demande à me rencontrer tout de suite. On m’appelle à l’hôtel Tarane, où j’habitais alors, c’était boulevard Saint-Germain, juste en face du Café de Flore, et on me dit que Carné veut tourner un dernier bout d’essai avec moi. Je demande naïvement quand le bout d’essai en question doit avoir lieu : "Tout de suite". J’accours, je vois Carné qui me dit que physiquement, ça a l’air d’être ça, et me colle la brochure avec la scène de "la Valse" à apprendre. J’ai eu la chance de faire cet essai avec Jean-Roger Caussimon, qui était délicieux et qui m’a énormément aidée. La scène terminée, Carné me dit simplement "Merci, vous avez le rôle". Dans ces cas-là, généralement, on sait ce que cela veut dire… Je rentre et le soir même, je reçois un coup de téléphone. "On vous attend demain matin pour signer, vous faites le film." Je suis tombée des nues, vraiment. Je savais que la comédienne retenue par Carné – jusqu’au moment où j’ai moi-même auditionné – était Maria Mauban, dont je venais de jouer la camériste dans Patrie, et qui était, physiquement et dans sa manière de jouer mon exact opposé. C’est comme ça qu’a commencé pour moi la grande époque des Portes de la Nuit, qui a été d’un côté une chance formidable, et d’un autre côté… Je crois que je n’ai pas fait la carrière que j’aurais dû faire, en tous les cas celle que l’on me promettait, en grande partie à cause de l’échec – relatif d’ailleurs – du film. Vers la même époque, il est arrivé la même chose à Marcelle Derrien, qui était, elle aussi, une actrice maison de la firme Pathé, mais absolument inconnue du grand public. Elle a été choisie par René Clair pour donner la réplique à Maurice Chevalier et à François Périer dans Le silence est d’or, on a vu sa photo partout à la une des magazines spécialisés pendant trois mois, comme pour moi avec Les Portes quelques mois auparavant, ensuite, le film n’a pas très bien marché, et on ne lui a quasiment plus rien proposé, en tout cas, plus rien de comparable. Le plus amusant, c’est que Dany Robin, qui tenait de petits rôles dans Les Portes de la Nuit et dans Le silence est d’or, et dont la presse n’avait pas spécialement parlé à ce moment-là, est devenue une immense vedette en l’espace d’un an ou deux, alors que Marcelle et moi avions déjà commencé à glisser dans la série B ou les rôles moins importants.

Comment expliquez-vous l’échec – d’ailleurs très relatif, comme vous venez de le dire, ça n’a pas été non plus le désastre de l’année, plutôt une immense déception – des Portes de la Nuit ?

Je crois que c’était un film qui était un petit peu en avance sur son époque. Maintenant, quand on le revoit, quand on revoit toute la poésie qui ressort du Destin, par exemple, on comprend mieux, mais, à l’époque, c’est passé au-dessus des gens. Et la deuxième raison, c’est moi et Montand : à mon avis, nous n’étions pas du tout, du tout, mais alors pas du tout, les personnages. C’est aussi pour cela, et parce qu’il est plus facile de tomber sur des comédiens débutants que sur d’énormes vedettes, qu’on nous a fait un peu porter le chapeau à lui et moi. Moi, j’avais vingt ans, avec la mentalité d’une jeune fille de quatorze, je ne connaissais rien de la vie, alors que le personnage était écrit pour une femme de trente, trente-cinq ans.

Dietrich en avait quarante-cinq à l’époque.

C’était de toutes façons le rôle d’une femme fatale, blasée de la vie, qui a beaucoup voyagé. Ce n’est pas que j’étais mauvaise, je n’étais pas le personnage. Bien, mais pas femme fatale pour un sou, malgré les cigarettes, les escarpins, les bas-couture et le manteau de fourrure. En plus, Carné avait toujours eu affaire à de très grands acteurs, généralement confirmés, comme Gabin, Arletty, Jouvet, qu’il connaissait bien et qui étaient faciles à diriger, tandis que Montand et moi, il ne savait pas très bien par quel bout nous prendre. Ce n’était pas de la mauvaise volonté de sa part, il n’avait simplement pas le matériel qu’il avait l’habitude d’avoir. En fait, il nous est arrivé à Montand et moi la même chose qu’à Annabella et Jean-Pierre Aumont au moment du tournage d’Hôtel du Nord, qui est resté comme le film de Jouvet et d’Arletty. La seule différence, c’est qu’Annabella et Aumont étaient déjà d’immenses vedettes, alors que Montand et moi étions de parfaits inconnus, ou presque, au moment du tournage des Portes de la Nuit. Pour en revenir à Carné, je crois, avec le recul, que cette direction d’acteur un peu flottante en ce qui concerne les personnages de Diego et de Malou est une des raisons essentielles de l’échec partiel du film, qui maintenant, plaît davantage au public.

Une déception en somme, pour vous aussi…

La petite déception qui m’est le plus longtemps restée est liée au souvenir de la chanson du film. Kosma avait composé spécialement la musique des Feuilles mortes, et comme je savais chanter, je voulais absolument l’interpréter à l’écran. Mais ils ont préféré prendre pour ça Irène Joachim, une chanteuse d’Opéra, ce qui selon moi était une mauvaise idée.

Parce qu’elle la chante "lyrique" ?

Exactement. Lyrique et la voix trop haut perchée. Ce qui est amusant, c’est que maintenant, tout le monde croit que c’est le personnage de Montand – enfin, Montand lui-même – qui chante Les Feuilles mortes dans le film, alors qu’en fait, il ne l’a repris que bien plus tard, et que dans les Portes de la Nuit, c’est bien mon personnage qui l’interprète, même si c’est avec la voix d’une autre. Ça a été une vraie déception, je suis sûre que j’aurais été très bien. Sûre. Peut-être pas "Lyrique" ou "Opéra", comme Irène Joachim, mais à l’époque, les gens aimaient, donc ça se faisait beaucoup ça. Aujourd’hui, les comédiens chantant à l’écran ne sont quasiment jamais doublés. Maintenant, en y réfléchissant bien, ça n’est pas seulement Montand et moi qui sommes responsables de l’échec du film. Nous sortions de quatre années de guerre, et les gens avaient besoin d’autre chose que le miroir de la société française que Les Portes de la Nuit tendent au spectateur. Le public attendait un enchantement comparable à celui procuré par la vision des Enfants du paradis, un an plus tôt, et à la place, il a eu une histoire triste lui rappelant la Collaboration, les restrictions et le marché noir. Il y a eu un choc, ce n’était pas ce qu’on attendait. J’ai oublié de vous dire, quand même, que juste auparavant, j’avais tourné dans L’Idiot d’après Dostoïevski. C’était un film de Georges Lampin, vraiment très beau, avec Gérard Philipe et Edwige Feuillère. Philipe était un être merveilleux, comme je crois on n’en trouve un par siècle, et puis il y avait toutes ces comédiennes extraordinaires, comme Marguerite Moreno, qui jouait ma mère, Sylvie, Feuillère qui était extraordinaire, bien que j’eusse préféré dans le rôle Madeleine Robinson, qui était une de mes idoles. Feuillère était une très grande comédienne, mais à mon avis Madeleine Robinson était davantage le personnage. Je saute un petit peu du coq à l’âne, mais tout ceci m’a vraiment fait penser à mes idoles.

Précisément, quelles sont les comédiennes que vous admiriez ? Ou que vous admirez toujours ?

Mila Parely… Mila Parely : quelle comédienne ! Et une des plus grandes aussi, Sophie Desmarets, qui n’a pas fini son parcours professionnel. Et la plus grande des plus grandes, Danielle Darrieux, qui elle a une carrière immense et qui est loin d’être terminée. Oh, à propos de grandes comédiennes, est-ce que je peux vous raconter une anecdote un peu méchante, mais pas trop… C’est à propos d’Edwige Feuillère.

Ah oui ! Avec plaisir.

Vous savez qu’à l’époque, Feuillère avait un opérateur attitré, Christian Matras. Elle ne faisait pas un film sans qu’il y ait Monsieur Matras. "Matras par ci, Matras par-là, je ne tournerai pas s’il n’y a pas Monsieur Matras." Donc, naturellement, dans L’Idiot, nous avions Matras aux prises de vues. Et j’avais une scène avec Edwige Feuillère, où elle s’approchait de moi, j’étais sous un réverbère, censée être très éclairée. Et elle me disait : "Oh ! Que vous êtes belle ! Que vous êtes belle !". Ce soir-là, à la projection des rushes, Gérard Philipe s’est levé furieux, en disant : "Je me demande comment elle est fichue de le voir !". Et il est sorti, en claquant la porte. Je ne sais pas comment Edwige a apprécié la chose, je n’ai pas eu de réaction de sa part. Parce qu’on ne me voyait absolument pas, elle me disait que j’étais belle, mais Matras avait tellement bien fait l’éclairage que j’étais dans complètement dans le noir. Ah… avant L’Idiot, j’avais aussi tourné Étrange Destin, encore sous mon vrai nom, Belaïeff, enfin, en réalité, c’était Belaieva, mais c’est au générique du film de Lampin…

Celui dans lequel vous êtes dans le noir sous la lumière du réverbère…

Exactement. C’est au générique de L’Idiot, donc, que je me suis appelée Nathalie Nattier pour la première fois. Je dois dire qu’à l’époque, j’étais très amoureuse d’un peintre – Annenkov, dont je vous ai déjà parlé – et que je voulais absolument prendre un nom de peintre pour pseudonyme, d’où Nattier, en hommage à Nattier le Jeune, qui a œuvré à la Cour de Louis XV et utilisait beaucoup le bleu, la couleur de mes yeux, depuis lui, on parle de "Bleu Nattier". D’ailleurs Edwige Feuillère, qui m’aimait bien dans le fond, me l’a reproché plus tard, elle m’a dit : "Tu as eu tort, Nathalie, parce que si tu avais gardé Belaieva, par exemple, tu aurais peut-être fait la carrière que tu voulais." Et elle n’avait sans doute pas tort. Je n’aurais peut-être pas tourné ce que j’ai tourné après, des films de vamps, qui n’étaient finalement peut-être pas tellement bien faits pour moi. Je les truquais, mais ce n’était pas dans mon tempérament. Je m’amusais un petit peu avec ça, rien de plus. J’ai tourné Moumou, Mon ami le cambrioleur, La Rue sans joie, ensuite, il y a eu l’époque du Palais-Royal, qui m’a entraînée dans cette ribambelle de pièces : Je l’ai été trois fois, La mariée en a deux… Il y a eu Couzinet, aussi, La Famille Cucuroux, avec de bons comédiens, Georges Rollin, Jean Tissier, qui était un personnage extraordinaire, un véritable clown. Un jour, il a débarqué sur le tournage déguisé en portier d’hôtel, il adorait faire des blagues.

Tissier nous ramène aux grands excentriques des années Trente et Quarante. Je pense à Saturnin Fabre, votre père dans Les Portes de la Nuit

Saturnin Fabre ! Il me pardonnera ce qui suit, d’ailleurs, c’est sa punition pour ce qu’il m’a fait. J’avais une scène très très très dramatique avec lui dans le film de Carné, où je venais le voir après de nombreuses années passées à l’étranger, il me donnait des nouvelles de ma mère qui était morte en telle ou telle année, et j’étais censée m’écrouler en pleurs 3. Vous savez comment les choses se passent au cinéma : il y a le champ-contrechamp, et l’acteur qui n’est pas filmé se tient près de la caméra, et vous donne la réplique pour vous aider. Et avec lui, ça a donné : "Tatatatata… morte… tatatatata… en 38… tatatatata… beaucoup souffert." Et là-dessus, je devais avoir des réactions dramatiques, ce qui n’était pas très facile.

Pierre Brasseur ?

C’est une drôle d’histoire, un peu triste aussi. Nous étions à Joinville, à l’époque, Pathé-Cinéma avait des studios à Joinville et rue Francœur, nous tournions une scène de nuit et à moment donné, Carné arrête les prises pendant une heure afin que nous puissions aller dîner dans un restaurant de quartier. Et là, en plein repas, Brasseur commence à raconter des histoires un peu salaces, et tout le monde d’éclater de rire "Ah ah ah, Monsieur Brasseur, oh que c’est drôle, que c’est drôle !". Moi je n’y comprenais strictement rien, mais alors, rien, c’était du chinois pour moi. Je dois dire que, comme je vous l’ai expliqué tout à l’heure, j’avais à peu près la mentalité d’une fille de quatorze ans. Et d’un seul coup, ça l’a profondément vexé, il s’est levé et s’est mis à m’injurier en me disant : "Ma pauvre fille, tu ne sais même pas rire, tu ne sais même pas pleurer, tu ne feras jamais rien dans la vie, t’es qu’une merde, t’es rien du tout" et j’en passe. Ça a duré cinq bonne minutes, sans exagération. La moutarde a commencé à me monter au nez, parce que j’étais tout sauf quelqu’un de tranquille, de réservé et d’insensible. J’ai attrapé la table qui était immense – nous étions au moins vingt personnes autour, Brasseur, moi, toute la technique, les maquilleurs, les électriciens… – à bout de bras et j’ai tout fait valser. Il a reçu de la soupe, des macaroni, il en était couvert, et les malheureux qui étaient à côté de lui aussi. Mais après, nous sommes devenus les meilleurs amis du monde, il est venu me demander pardon, et ça s’est très bien arrangé.

Et Montand ?

Je me souviens surtout qu’il était très amoureux de Piaf à l’époque, qui l’a plaqué du jour au lendemain, à mi-tournage, il pleurait tout le temps entre les prises, c’était assez éprouvant pour tout le monde – et aussi que nous ne savions danser la valse ni l’un ni l’autre. En fait, nous avons dû prendre une quinzaine de cours accélérés ensemble, histoire de pouvoir faire un tout petit peu illusion à l’écran. De fait, comme je vous l’ai dit, Carné nous laissait tous les deux en roue libre, il ne s’occupait que de Brasseur, avec lequel il avait déjà fait un film ou deux, ou des comédiens plus chevronnés, comme Bussières qui, d’ailleurs, faisait un peu son cabot. "S’il te plaît, Nathalie, tu te mets un petit peu de dos, parce que, tu comprends, c’est moi, le plus intéressant dans cette scène, alors quand je parle je veux être bien de face, et toi tu t’arranges pour être de dos." Il faut aussi que je vous parle, mais alors là en bien, d’un acteur que j’adorais, avec qui j’ai tourné Monsieur Taxi. Encore une vamp, ou une prostituée je ne sais plus très bien… J’avais une scène, assez longue, sur ses genoux, et il venait tout le temps me dire : "Viens répéter, viens répéter, je ne la sais pas, je te jure que je ne sais pas un mot de cette scène, si tu ne viens pas me faire répéter, je ne la saurais pas." Et j’ai passé toute la journée, en tout bien tout honneur, il n’a jamais eu un geste osé, rien, sur les genoux de Michel Simon. Après, il savait parfaitement son texte. C’était un garçon formidable. Adorable. Gentil.

En définitive, nous avons très peu parlé de théâtre jusqu’à présent.

Juste. On va tâcher de réparer ça. Figurez-vous que vers 1946-1947, j’étais très très très amie avec Jacques Audiberti. Je venais de jouer une pièce au Théâtre de Poche qui s’appelait Le Gouffre, une chose dramatique où j’interprétais une putain qui tuait son client à la fin, nous en parlions souvent le soir avec Audiberti. Un jour, il me dit "Écoute, j’ai une pièce pour toi, je voudrais que tu la lises, je voudrais que ce soit toi qui la joues." Et il me sort Le Mal court. Je lis la pièce, et je vois que l’héroïne doit se déshabiller devant un carnaval…

Un carnaval ?

Un cardinal, pardon. Enfin, c’est un peu la même chose, non ? Moi qui étais extrêmement pudique à l’époque – j’ai beaucoup changé… après, grâce à ou à cause du Palais-Royal – j’ai dit "Jamais, jamais, je ne peux pas me mettre toute nue en scène". Et c’est comme ça que Suzanne Flon a hérité du personnage d’Alarica, le rôle principal, qui a fait toute sa carrière et dans lequel elle était sublime. Et elle ne s’est pas déshabillée. Ça, je l’ai un petit peu sur le cœur… Mais elle était vraiment formidable dans ce rôle, qu’elle a souvent repris par la suite. J’ai su quelques années plus tard – Audiberti était déjà mort – par une vieille dame de ses amies, qui faisait partie de sa bande de l’hôtel Tarane, que… (contrefaisant la voix d’une très vieille dame un peu sénile) : "Vous savez, Audiberti… il était amoureux de vous. C’est pour ça qu’il a écrit la pièce, c’était pour vous." C’est dommage, hein, comme on rate de belles occasions, parfois.

C’est la seconde fois en quelques minutes que vous évoquez l’hôtel Tarane.

Il y avait une atmosphère assez exceptionnelle à l’époque, entre cet hôtel, où nous nous réunissions tous les soirs entre comédiens, auteurs et musiciens, et Café de Flore, où j’allais prendre mon café tous les matins, à deux pas de Sartre, de Simone de Beauvoir et de Juliette Gréco… Leur présence me donnait du courage, et c’est à cette période que j’ai écrit le roman inédit dont je vous ai parlé tout à l’heure, et aussi une pièce que jamais personne n’a lue. J’aurais peut-être du persévérer, puisque, petit à petit, j’ai été emmenée à jouer des pièces écrites par d’autres et qui n’étaient pas tout à fait à ma convenance. D’abord, j’ai été au Théâtre Gramont, dirigé à l’époque par René Dupuy, là, c’était encore dans mes cordes, mais tout de suite après, Jean de Létraz m’a demandée de venir au Palais-Royal. Et là, j’ai commencé la série des vamps et des femmes un peu dénudées, qui ne m’ont pas vraiment procuré de grandes satisfactions professionnelles, bien que j’aie connu, à l’occasion d’une de ces pièces, Milton, qui était un personnage extraordinaire.

Le Milton qui jouait dans la série des Bouboule durant l’entre-deux-guerres ?

Le même. Avec lui, j’ai joué La mariée en a deux, tout un programme. J’ai aussi joué Occupe-toi de mon minimum, encore tout un programme, avec Jean-Claude Brialy cette fois, et puis Je l’ai été trois fois, et puis d’autres encore… Plus tous les films dont nous avons déjà parlé, les Moumou et autres, dont je ne suis pas très fière, enfin, je les ai faits, c’est enregistré : trop tard ! Quoique La Famille Cucuroux ne soit pas si mal que ça, finalement… Ah ! Parmi tous les petits navets que j’ai tournés au cours de ma carrière – quel grand mot – il y a un que je chéris un peu, bien que ce ne soit pas un bon film, c’est La Rue sans loi de Marcel Gibaud, d’après les caricatures de Dubout. Ce dernier venait tous les jours sur le plateau, il mangeait avec nous, on s’amusait comme des petits fous. Et il avait spécialement écrit pour le film un personnage qui n’existait pas dans ses caricatures et qui est devenu le personnage féminin principal du film, une sorte de vamp, que je jouais, naturellement. J’étais tout en noir, drapée de noir, avec un collant noir…

Un clin d’œil à l’Irma Vep des Vampires ?

Oui, mais en plus burlesque.

Les encyclopédies du Cinéma français créditent souvent le comédien et metteur en scène Léon Mathot comme coréalisateur ou collaborateur technique…

C’est possible, mais je n’ai pas du tout souvenir de sa présence sur le plateau, alors que je revois très bien Gibaud, qui n’a pas fait grand chose après, Dubout, dont il me reste quelques photos où nous figurons tous les deux, et la plupart de mes partenaires : Gabriello, Annette Poivre, Max Dalban, Paul Demange, Louis de Funès qui multipliait les apparitions à l’époque... Dans la série "petits films qui n’ont pas laissé de grande trace", j’ai aussi tourné Fusillé à l’aube, dans lequel je jouais la "rivale en amour" de Renée Saint-Cyr, qui devait avoir vingt ans que plus que moi mais, comme elle était la productrice ou la coproductrice du film, c’est avec elle et non avec moi que Frank Villard partait à la fin, et Porte d’Orient, avec Tilda Thamar et Yves Vincent, qui a été entièrement réalisé à Marseille. On m’avait teinte en rousse, ce qui ne me plaisait pas du tout, de plus, on me faisait danser, alors que je voulais chanter et que je ne sais absolument pas danser, on voyait bien à l’image que je dansais comme un cochon, ce qui a fait dire à Dalio, qui était également dans le film, quelque chose comme : "Les jambes sont belles, mais la danse l’est moins." Pourquoi les gens ne font jamais ce que vous leur demandez ? C’était tellement facile de me faire chanter au lieu de me faire danser. Il faut à présent que je vous raconte comment j’ai rencontré mon mari, Robert Willar, dont on a souvent tendance à oublier qu’avant d’être animateur radio, il a débuté dans le métier comme comédien. Figurez-vous qu’à l’époque je vivais "maritalement", depuis deux ou trois ans, avec le père d’Anouk Aimée, qui s’appelait Henri Murray. Murray était à la tête de grandes tournées théâtrales, je jouais beaucoup avec lui, et il a engagé mon futur mari, Robert donc, pour une reprise de Domino de Marcel Achard, dans laquelle il m’avait distribué le premier rôle féminin. Et ça a été le coup de foudre, mais vraiment le coup de foudre. Pour moi. Lui, c’est venu après, mais pour moi, le charme a opéré dès la première répétition. Je l’ai vu et, tout de suite, me je me suis dit "Celui-là, c’est le bon." Au final, j’ai pas mal ramé pour qu’il fasse attention à moi, j’avais déjà une enfant, Tania 1, qui était née quelques années auparavant de ma liaison avec un autre comédien, Jacques Torrens, ça n’a pas été facile les premiers temps, j’avais beau avoir été la plus belle fille du monde pour Carné et Prévert, je ne l’intéressais absolument pas. À l’époque, c’est Michel Simon, que j’intéressais (rires). Finalement, Robert et moi avons fini par nous rapprocher – enfin, Robert s’est rapproché, moi je savais très bien que c’est avec lui et personne d’autre que je voulais passer le reste de ma vie –, nous nous sommes mariés deux ans plus tard, et nous avons eu ma fille cadette, Barbara 2, ensemble, quelques années après.

Et un demi-siècle plus tard, vous êtes, tous les deux, mari et femme dans Jeux d’enfants, d’Yann Samuell (2002).

Vers la fin des années 90, bien qu’"administrativement" à la retraite depuis une bonne dizaine d’années, je me suis inscrite à l’ANPE des comédiens, afin de pouvoir continuer à travailler de temps en temps. J’ai fait quelques télévisions, dont un Nestor Burma avec Guy Marchand, tenu de petits rôles de Babouchkas – ça devait être dans les gênes – ici et là et, un beau jour, j’ai été convoquée afin d’auditionner pour le rôle de Marion Cotillard âgée à la toute fin de Jeux d’enfants. J’ai passé les essais avec succès, et la personne chargée du casting m’a demandé à tout hasard si je ne connaissais pas un comédien qui pourrait jouer mon mari dans le film. Je lui ai immédiatement parlé de Robert qui avait fait le Conservatoire et joué au théâtre et au cinéma avant de faire la carrière d’animateur radio que l’on sait, j’ai téléphoné à la maison, et comme nous habitions, à l’époque, à deux pas des locaux de l’ANPE spectacle, il est arrivé dans les dix minutes qui ont suivi. Sur place, il a lu le texte et il a été immédiatement pris pour le rôle. C’est comme ça qu’après pas loin d’un demi-siècle de mariage, nous avons joué ensemble pour la première, la seule et la dernière fois, dans un même film lui et moi. Moi, comme je vous l’ai dit dans le rôle de Marion Cotillard âgée, Robert dans celui de Guillaume Canet. À l’arrivée, la scène est beaucoup plus courte que ce qui a été tourné, mais il est resté un très beau plan muet de nous deux clôturant le film. C’est drôle, sur le tournage, il y avait une toute jeune scripte qui, s’adressant à moi, ne m’appelait jamais Nathalie mais Malou, parce qu’elle m’avait vue je ne sais combien de fois dans Les Portes de la Nuit et qu’elle adorait le film de Carné. Vous voyez, c’est lourd à porter, "la plus belle fille du monde." (Rires et fin de l’entretien).

Propos recueillis à Narbonne (Aude), le dimanche 7 août 2006, par Armel de Lorme et Gauthier Fages de Bouteiller.

1. La comédienne de théâtre, cinéma, télévision et doublage Tania Torrens, ex-sociétaire de la Comédie-Française.

2. La comédienne et chanteuse Barbara Willar, ex-Castafiore Bazooka.

FILMOGRAPHIE CINÉMA :

1943 : Un seul amour (Pierre Blanchar). 1945 : Étrange Destin (Louis Cuny). L’Idiot (Georges Lampin). Mission spéciale (Maurice de Canonge). Nuits d’alerte (Léon Mathot). Patrie (Louis Daquin). Seul dans la nuit (Christian Stengel). 1946 : Le Château de la Dernière Chance (Jean-Paul Paulin). Les Portes de la Nuit (Marcel Carné). 1948 : Le Mystère Barton (Charles Spaak). 1949 : Un fin limier (Georges Jaffé, CM). Un garçon-garçon (Georges Meunier, CM). 1950 : Fusillé à l’aube (André Haguet). Mon ami le cambrioleur (Henry Lepage). Porte d’Orient (Jacques Daroy). Radio Cythère (André Leroux, CM). La Rue sans loi (Marcel Gibaud et Léon Mathot). 1951 : Moumou (René Jayet). Piédalu à Paris (Jean Loubignac). 1952 : Brelan d’as – sk. Je suis un tendre (Henri Verneuil). Monsieur Taxi (André Hunebelle). 1953 : La Famille Cucuroux (Émile Couzinet). 1954 : Silence de mort (Georges Jaffé, CM). 1959 : Détournement de mineures (Walter Kapps). 2002 : Jeux d’enfants (Yann Samuell). 2006 : Nathalie Nattier (La plus belle fille du monde) (Armel de Lorme et Gauthier Fages de Bouteiller, inédit).

FILMOGRAPHIE TÉLÉVISION :

1997 : Nestor Burma – épisode Poupée russe (Philippe Venault). 2001 : Commissariat Bastille – épisode Compte à rebours (Jean-Marc Seban). 2002 : Joséphine, ange gardien –épisode La Plus Haute marche (David Delrieux).

LIENS VIDÉO :

www.dailymotion.com/video/x1lrmu_les-portes-de-la-nuit-le-destin_shortfilms (première apparition – silencieuse – de Nathalie Nattier au début des Portes de la Nuit).

www.youtube.com/watch?v=8BOXgwAVDf4 (La Rue sans loi : séquence chantée).

www.dailymotion.com/video/x8zksx_nathalie-nattier-les-portes-de-la-n_shortfilms (Nathalie Nattier (La plus belle fille du monde), par Armel de Lorme & Gauthier Fages de Bouteiller, extrait # 1).

www.dailymotion.com/video/x8zkyw_nathalie-nattier-les-portes-de-la-n_shortfilms (Nathalie Nattier (La plus belle fille du monde), par Armel de Lorme & Gauthier Fages de Bouteiller, extrait # 2).

www.dailymotion.com/video/x8zqk7_nathalie-nattier-les-portes-de-la-n_shortfilms (Nathalie Nattier (La plus belle fille du monde), par Armel de Lorme & Gauthier Fages de Bouteiller, extrait # 3).

PAGE WIKIPÉDIA :

fr.wikipedia.org/wiki/Nathalie_Nattier

REVUE DE PRESSE & LIENS AMIS :

www.marcel-carne.com/equipecarne/nattier/nattier-biographie.html

www.marcel-carne.com/blog/2010/06/22/nathalie-nattier-1924-2010

REMERCIEMENTS :

Stéphane Boudin, Gauthier Fages de Bouteiller, Philippe Morrison, Barbara Willar, Fondation Jérôme Seydoux-Pathé.

© Armel de Lorme