| Arrière-petite-fille
            du célèbre critique théâtral Francisque Sarcey, nièce, par ce
            dernier, de Pierre Brisson, longtemps directeur du Figaro,
            elle-même fille de la journaliste Françoise Rouchaud (pilier du
            quotidien Le Journal, disparu au début de la Seconde Guerre
            mondiale), compagne durant vingt-cinq ans et jusqu’à sa
            disparition de l’acteur et metteur en scène surinspiré Michel de
            Ré (lui, descendant en ligne directe du général Gallieni), on ne
            sera pas surpris que Martine Sarcey, ex-élève du cours Maurice
            Escande puis du Conservatoire National d’Art dramatique 1,
            ait effectué l’essentiel de sa carrière sur les planches, où
            elle n’a pour ainsi dire jamais cessé de s’illustrer. Précoce
            dans sa vocation (Petites, nous rejouions avec ma sœur cadette
            tous les films de Shirley Temple : comme j’étais l’aînée,
            et déjà la vedette (rires), je m’attribuais
            systématiquement les rôles de Shirley, tandis que ma sœur héritait
            en vrac de tous les autres personnages 2), elle se
            forge, avec l’adolescence, de nouveaux modèles (Danielle Darrieux
            et Michèle Morgan, l’une et l’autre ses futures partenaires de Méfiez-vous,
            Mesdames), tout en reconnaissant volontiers que c’est Suzanne
            Flon qui lui a fourni sur le tard, tant artistiquement qu’humainement,
            son modèle le plus durable (De la première pièce que nous
            avons jouée ensemble, à l’aube des années 80, au matin de sa
            disparition, elle n’a jamais cessé d’être mon phare, mon point
            de repère). En
            attendant cette rencontre décisive, au final l’une des plus
            belles de son existence, c’est dans Jeanne et ses juges de
            Thierry Maulnier, que la jeune Martine effectue ses débuts sur les
            planches, à l’aube des années 50. Jacqueline Morane et
            Marcelle Tassencourt, la future directrice du Théâtre-Montansier,
            se partageaient le rôle de Jeanne d’Arc, tandis que Nicole Maurey
            et moi interprétions respectivement sainte Marguerite et sainte
            Catherine, perchées sur un praticable haut de sept mètres dominant
            le parvis de la Cathédrale de Rouen. Tout en donnant nos
            répliques, nous tenions " par les ailes " le
            comédien belge, soudain pris de vertige, qui jouait l’ange
            Gabriel. Cela fait partie des souvenirs de théâtre qui vous
            marquent à vie. La mise en scène, assez spectaculaire pour l’époque,
            était de Maurice Cazeneuve, que j’ai épousé peu après et qui
            est devenu le père de mon fils. C’est seulement quelques années
            plus tard que j’ai rencontré Michel de Ré, que j’ai rapidement
            suivi dans les théâtres et les cabarets de la rive Gauche.
            Vers la même époque, probablement recommandée par sa tante, la
            comédienne Yolande Laffon (à la ville, l’épouse de Pierre
            Brisson), Martine Sarcey entame une carrière cinématographique
            aussi riche que variée, mais qui, en dépit de débuts prometteurs,
            ne décollera véritablement qu’aux abords de la quarantaine. Tour
            à tour " jeune fille timide aux longs cheveux "
            noyée parmi les célibataires des deux sexes hantant les couloirs
            de l’Agence matrimoniale de Jean-Paul Le Chanois (1951) et
            terrorisée à l’idée de donner la réplique, pour ses débuts à
            l’écran, à Bernard Blier (Il avait une réputation
            épouvantable dans le métier, totalement injustifiée du reste,
            mais il a toujours été adorable avec moi, tant sur le tournage du
            film de Le Chanois que lorsque nous avons joué ensemble, bien plus
            tard, L’Homme en question de Félicien Marceau à l’Atelier),
            carmélite dont le parcours initiatique croise celui de Thérèse
            Martin (Procès au Vatican, André Haguet, 1951), Nymphe
            d’opérette en peplos et cothurnes (Les Intrigantes, Henri
            Decoin, 1954), jeune aristocrate tombant en pâmoison en apprenant
            que celui qu’elle aime est irrémédiablement défiguré (Nez
            de Cuir, gentilhomme d’amour, Yves Allégret, 1951) ou
            fréquentant avec assiduité la cour de Marie-Antoinette, reine
            de France 3 (Jean Delannoy, 1955), le septième art
            ne conservera in fine que des images fugitives de la jeune
            première qu’elle fut à ses débuts. À une exception
            près : en 1956, Jean Stelli, cinéaste de prestige (Le
            Voile bleu) fraîchement reconverti dans la série B policière,
            met en chantier le premier volet d’une série de bandes d’espionnage
            qui en comportera quatre, tournées à raison d’une par an jusqu’en
            1959. Dans cette Alerte au Deuxième Bureau, coécrite avec
            Jean Kerchner, Martine Sarcey, déjà magnifique, prête ses traits
            à Hélène, redoutable aventurière tentant de faire tomber dans
            ses rets Geneviève Kervine et Frank Villard. Le film vaut ce qu’il
            vaut, c’est à dire pas grand chose, mais offre à la jeune
            comédienne le premier contre-emploi cinématographique de sa
            carrière, en même temps qu’un rôle de tout premier plan. Pourtant, six années suivront qui la
            verront se consacrer exclusivement aux planches, avant que la
            quarantaine approchante ne lui permette d’aligner au grand écran
            une succession de rôles impeccablement tenus : bourgeoise 1900
            oscillant entre obsession des convenances et attirance pour un
            Jean-Paul Belmondo au sommet de sa séduction (Le Voleur,
            Louis Malle, 1966), châtelaine réduite aux besognes les plus viles
            par un mari mi-hobereau ruiné, mi-tyran domestique (Clérambard,
            Yves Robert, 1969), elle est, dans le même temps, et à deux
            reprises, la mère de cinéma du débutant Renaud Verley (La
            Leçon particulière, 1968 ; Du soleil plein les yeux,
            Michel Boisrond, 1969 4). S’encanaillant pourtant aux
            approches de la cinquantaine, elle se dore au soleil des plages
            algériennes (en fait corses !) avant d’aller danser, avec
            une belle sensualité, parmi les convives de Certaines Nouvelles 5
            (Jacques Davila, 1976), fume le cigare et
            " lève " comme un seul homme – mais pour une
            seule nuit – Victor Lanoux lors d’une fête estivale (Un
            moment d’égarement, Claude Berri, 1977), se fait lutiner sans
            rougir plus que de raison tout au long de La Vie parisienne d’Offenbach,
            Meilhac et Halévy revue par Christian-Jaque (1977) et s’offre,
            étendue sur un lit, les services tarifés d’un Mocky portant
            encore beau (Un linceul n’a pas de poches, Jean-Pierre
            Mocky, 1974), lorsque, secrétaire de direction susceptible et
            dédaignée, elle ne raye pas d’un trousseau de clefs vengeur la
            voiture flambant neuve du volage Jean Rochefort (Un éléphant,
            ça trompe énormément, Yves Robert, 1976). La respectabilité,
            pourtant, lui va tout aussi bien, qui lui permet de séduire, par sa
            douce réserve empreinte d’autorité tranquille, les jeunes
            pensionnaires de L’Hôtel de la Plage (Michel Lang, 1977)
            ou de diriger entre poigne de fer et gant de velours le collège de
            banlieue de P.R.O.F.S. (Patrick Schulmann, 1985), quand elle
            n’interprète pas, pour le petit écran, reines et impératrices,
            tour à tour épouse de Napoléon III (Les Folies Offenbach,
            Michel Boisrond, 1977) et veuve de Louis XIII (Mazarin,
            Pierre Cardinal, 1978 6). Ce, comme de juste, sans
            déserter un seul instant les planches. Créatrice de La Tour
            Eiffel qui tue aux côtés de Michel de Ré, plus tard
            interprète la première pièce de Françoise Dorin (Comme au
            théâtre, Michodière, 1967), les paris les plus difficiles ne
            la rebutent pas : c’est ainsi qu’elle reprend, au début
            des années 70, les différents rôles interprétés, peu
            auparavant, par Delphine Seyrig dans un montage de nouvelles de
            Gabriel Arout mis en scène par Claude Régy, avant d’oser le
            contre-emploi en acceptant les rôles de bourgeoises au cœur sec
            que lui confie Loleh Bellon. Après Le Cœur sur la main
            (Studio des Champs-Élysées, 1981), qui voit naître l’amitié
            qui la liera, 25 années durant, à Suzanne Flon, elle retrouve
            cette dernière sur Une absence, œuvre superbe et triomphe
            prolongé pour les deux comédiennes comme pour leurs partenaires,
            Catherine Rouvel, Véronique Silver et Étienne Chicot (Bouffes-Parisiens,
            1988-1990). Au vu d’un tel palmarès, on en
            oublierait presque que l’actrice a longtemps compté parmi les
            comédiennes de doublage les plus prisées de sa génération, ayant
            prêté successivement sa voix à Maria Schell (Gervaise),
            Audrey Hepburn (My Fair Lady), Ulla Jacobson (Crime et
            Châtiment), Shirley Mac Laine, Joanne Woodward, Vanessa
            Redgrave, Stefania Sandrelli, et surtout, de façon plus durable, à
            Elizabeth Montgomery. Comme Daniel Crouet (Jean-Pierre) et Lita
            Recio (Endora), Martine Sarcey est pour beaucoup dans le succès, en
            France, de Ma sorcière bien-aimée, Samantha au nez souple
            et mutin dont on retrouve parfois les inflexions en écoutant parler
            les vieilles dames à cheveux tantôt gris, tantôt blancs, que lui
            confient encore, avec parcimonie hélas, petit (Dolmen,
            Didier Albert, 2004) et grand (La Maladie de Sachs 7,
            Michel Deville, 1999 ; L’Équipier, Philippe Lioret,
            2003) écrans. N’empêche : force est de reconnaître que si
            elle a longtemps été l’incarnation parfaite, tant sur les
            planches qu’à l’écran, du " charme discret de la
            bourgeoisie " décliné au féminin, Martine Sarcey est en
            passe de s’affirmer, de contre-emplois habiles en contre-emplois
            subtils, comme l’une des meilleures comédiennes de composition de
            sa génération, capable de mettre son talent au service des pires
            idiotes (L’Inscription, Gérard Sibleyras, Petit Théâtre
            Montparnasse, 2003) avec l’intelligence, l’humour et la grande
            probité qui la caractérisent. Ce qui n’a échappé ni à Lioret
            (Il avait sa " musique ", une volonté de sa
            part d’entendre dire les répliques de façon extrêmement simple
            et dépouillée, et par chance, ma musique à moi était conforme à
            la sienne, donc ça a tout de suite collé), ni au surdoué
            Philippe Calvario, son très inspiré metteur en scène de Richard
            III (Philippe m’a confié m’avoir vue, alors qu’il
            était encore très jeune, dans une rediffusion de La Porteuse
            de pain de Marcel Camus 8 et s’être alors promis qu’il
            me ferait un jour travailler : cela fait partie des plus beaux
            " cadeaux " que m’a valu la Porteuse, bien
            qu’en l’occurrence, plus de trente ans se soient écoulés, pour
            moi, entre les rôles de Jeanne Fortier et de la duchesse d’York.
            Preuve vivante, si besoin est, que les plus belles carrières se
            font souvent, sinon toujours, en marge du star system, Martine
            Sarcey fait partie, comme Claude Winter ou Nicole Courcel, elle
            aussi récemment passée sur le tard de l’infinie tendresse aux
            contre-emplois les plus abrupts (Milady, Josée Dayan, 2004),
            de ces artistes éminemment rares dont on ne sait jamais très bien
            s’il faut louer en priorité l’éclectisme, le
            professionnalisme, la simplicité ou tout simplement l’amour,
            jamais démenti, d’un métier toujours servi au mieux. D’ailleurs,
            pourquoi choisir ? ADL Extrait de L’@ide-Mémoire,
            Encylopédie des Comédiens de Théâtre, Cinéma et Télévision
            – Volume 1, 2006. © Armel de Lorme / L’@ide-Mémoire. 1.
            Sortie du Conservatoire National d’Art dramatique en 1950, où
            elle avait intégré la classe de Béatrix Dussane deux ans
            auparavant, Martine Sarcey y faisait partie de la même promotion
            que Nicole Besnard, Madeleine Callergis, Michel Galabru, André
            Julien, Jean Leuvrais, Jean Pignol, Mony Rey, Jean-Paul Roussillon
            et Magali de Vendeuil. (Source : www.rueduconservatoire.fr). 2. Propos
            recueillis par téléphone le 1er février 2006. 3. Elle retrouvera
            les tentures et les ors versaillais quelques quarante années plus
            tard en silhouettant l’une des innombrables dames de Cour peuplant
            le Jefferson à Paris de James Ivory (1994). 4. Du soleil
            plein les yeux, où elle a pour époux le journaliste Jean
            Ferniot, la gratifie en outre d’un second (grand) fils en la
            personne du débutant Bernard Le Coq. 5. Elle y est à la
            fois la meilleure amie de Micheline Presle, l’épouse de Gérard
            Hernandez et la mère… d’Anémone. 6. Dans un registre
            équivalent, elle a également prêté ses traits à la baronne
            Haussman de Rendez-Vous à Bray (André Delvaux, 1971). 7. Dans ce qui
            reste la dernière grande réussite en date de Michel Deville (mais
            le roman adapté y était pour beaucoup), et accessoirement son
            titre préféré au sein d’une filmographie à la fois copieuse et
            prestigieuse, elle composait avec une sobriété exemplaire le
            personnage de Mme Destouches, vieille paysanne confrontée au
            quotidien à la violence de son fils alcoolique. 8. Le premier des
            treize épisodes de 26 mn chacun de La Porteuse de pain –
            au cours duquel Martine Sarcey interprétait magnifiquement Le
            Temps des cerises – a été diffusé sur la 3ème
            chaîne de l’ORTF le 16 janvier 1973, l’intégralité du
            feuilleton ayant été reprise sur Antenne 2 en juillet/août 1982.
            Le générique rassemblait notamment Sim, Philippe Léotard, Henri
            Marteau, Jacques Monod et le dessinateur Dadzu, ainsi que les jeunes
            Bernard Alane, Bernard Giraudeau, Carole Laure et Laurence
            Vincendon. |