| La
            vie est ainsi faite : il est des comédiens connus et parfois
            reconnus qui ne laisseront probablement aucune trace durable dans l’Histoire
            du cinéma (au hasard : Élie Semoun, Michel Sardou, Franck
            Dubosc, Karine Dupray, Ophélie Winter, Sophie Marceau, Muriel
            Robin, Judith Godrèche…), et des figurants obscurs qui a
            contrario marqueront durablement les mémoires. L’immense
            Edmond Besnard, acteur-maison de la firme Eurociné et futur
            récurrent de Grosland, est de ceux-là, définitivement passé à
            la postérité au bénéfice d’une seule locution, plus efficace
            et plus probante dans son ébouriffante concision que la totalité
            de la filmographie de Mathilde Seigner, la discographie entière de
            David Guetta ou l’œuvre intégrale de Michel Audiard dans toute
            leur horreur respective. Dans
            Le Lac des Morts-vivants, le meilleur film de Jean
            RollinJ.A. Lazer parce que le plus hautement improbable
            (Dieu sait pourtant…) et certainement l’un des plus fauchés, il
            est longuement question de soldats allemands massacrés au cours de
            la Seconde Guerre mondiale, dont les cadavres immergés dans un lac
            reviennent, 35 ans après les faits et dans un état de
            décomposition avancée, décimer la population d’un petit village
            du trou du cul de la France profonde. Tantôt verdâtres, tantôt
            bleuâtres, tantôt grisâtres (selon l’inspiration fluctuante du
            chef maquilleur et du responsable de ce qui tient lieu d’effets
            spéciaux), lesdits SS commencent par violer/trucider une équipe de
            volleyeuses venues faire trempette dans leur territoire, avant de
            commencer à s’en prendre aux locaux. Réaction immédiate du
            châtelain-maire, l’inégalable-inégalé Howard Vernon, aussi à
            l’aise chezRollinLazer que chez Fritz Lang (c’est
            dire son immense professionnalisme), qui rassemble sans tarder la
            population villageoise mâle, dont chaque représentant possède peu
            ou prou un fusil de chasse (un simple poing levé pour les plus
            pauvres, la vie n’étant notoirement qu’injustice), afin de l’inciter
            très sérieusement à bouter illico presto l’ennemi (= les
            zombies gris-bleus-vert) hors des lieux. Et là… Et là, ressuscitant en une petite
            fraction de seconde à peine dix ou vingt ans de tradition dada, un
            acteur méconnu, dont la carrière se limite peu ou prou aux
            productions Eurociné, sort brusquement du lot en sortant, pile-poil
            au bon moment, la réplique (bientôt culte) qui tue : Ouéééé !
            Promizoulin, finissons-en ! On notera au passage le
            sentiment de métrique quasi parfaite procuré par l’ensemble
            (pro-mi-zou-lin/fi-ni-ssons-en), ainsi qu’une abondance record d’assonnances
            et d’allitérations. De l’art brut dans toute sa splendeur. Bien
            sûr, trente ans exactement après les faits, et faute d’explications
            de la part du principal intéressé, disparu depuis, personne n’est
            en mesure de donner la signification exacte de la locution
            " promizoulin ", ce qui est une plutôt bonne
            chose en soi : l’imaginaire peut ainsi continuer à
            travailler, nos confrères de Nanarland consacrer une entrée à
            part entière de leur glossaire
            à ce néologisme qui n’en est peut-être pas un, un groupe
            Facebook d’ores et déjà riche d’une petite centaine
            de membres (dont l’auteur de ces lignes) se constituer autour du
            concept promizoulien… C’est magnifique. Edmond Besnard, décédé l’an dernier
            dans sa 90ème année, aura selon toutes hypothèses
            emporté son secret avec lui dans la tombe. Lui seul aurait pu lever
            le voile. Tant pis. Ou tant mieux. Personne ne saura s’il avait
            trop bu ce jour-là (son élocution un rien pâteuse inclinerait
            assez à suivre cette piste, mais peut-être s’exprimait-il
            toujours ainsi…), si l’expression devenue trois décennies plus
            tard le cri de ralliement de tout fan de cinéma Bis digne de ce nom
            après avoir été celle des très autoproclamés justiciers du Lac
            des Morts-vivants, provenait (ou pas) d’un obscur dialecte
            issu d’on ne sait quel patois fleurant bon le crottin, s’il s’agissait
            d’une manifestation intempestive du cri primal imaginé et
            conceptualisé par Janov, d’une formule issue d’un jargon
            maçonnique somme toute méconnu des non-initiés, d’un cas subit
            de possession (le diable en personne ? les
            extra-terrestres ? Mère Teresa ? Jeanne Calment ?
            Dieudonné M’Bala ? l’actuel président de la
            République ?) ou du banal produit de l’ingestion de
            champignons douteux cueillis à la va-vite dans le parc du
            château : le mystère demeure intact. Reste un visage à
            jamais lié à un mot, celui d’un comédien vieillissant au
            faciès un peu cabossé et beaucoup grimaçant (et réciproquement),
            entrevu dans une petite quinzaine, peut-être plus, de longs
            métrages (souvent érotiques) et dont l’apport aussi soudain que
            généreux d’un nouvelle locution à notre belle langue (enfin…
            à ce qui en reste après deux mois de maltraitance légale et de
            mise à mal intensive par les fermiers Mickael Vendetta et David
            Charvet) méritait bien, ce nous semble, une filmographie en ligne. Armel de Lorme (qui remercie Christophe Bier au
            passage). |