Longtemps
doyenne du Théâtre de La Huchette, qu’elle dut quitter pour
raisons de santé à l’âge tout de même respectable de 89 ans,
la franco-belge Anne Alexandre n’a pour ainsi dire jamais connu
autre chose que la vie de troupe. Elle a été, avec Jacqueline
Rouillard-Jabbour, l’un des piliers féminins de la Compagnie
Jacques Fabbri, a plus tard intégré celle non moins cotée de Jean
Rougerie, et a logiquement intégré le " Spectacle
Ionesco " vers la fin des années 80. Après avoir quelque
temps interprété les deux bonnes (celles de La Cantatrice
chauve et celle de La Leçon), elle hérite très vite,
dans la première de ces deux pièces, de la délicieusement
distraite et parfaitement absurde Elizabeth Martin, à laquelle elle
confère, représentation après représentation, un grain
d’authentique folie absent – ou plus discret – chez la plupart
des autres " titulaires " du rôle. Compensant
sa taille minuscule par une précision de haut vol dans le jeu et
une mécanique faciale assez unique en son genre, Anne Alexandre,
bien que méconnue du grand public, était finalement assez proche
des monstres sacrés " à l’ancienne " chers
à Cocteau, parfaitement capable au choix de rappeler au bon
souvenir de leurs interlocuteurs de torrides amours passées avec un
futur président de la République (plutôt officiellement à gauche
et chaud lapin notoire), de se maquiller au vu et au su de tous
devant le portrait du roi Baudouin avant d’entrer en scène, ou de
débouler, un soir de cérémonie des Molières, au siège social
d’un grand établissement bancaire en croyant mettre le pied à
l’Opéra-Comique et de s’annoncer au guichetier n’en croyant
mais par un Je suis Anne Alexandre du Théâtre de la Huchette,
veuillez m’indiquer ma loge s’il vous plaît mi-autoritaire,
mi-charmeur. On n’en regrettera que davantage la parcimonie avec
laquelle le Septième Art l’aura utilisée, gardant à défaut le
souvenir de l’hôtelière au sourire trop commercial pour être
tout à fait honnête des Galettes de Pont-Aven (Joël Séria,
1975) et surtout de quelques rombières bon teint, telle
l’admiratrice d’Annie Girardot, menue mais énergique,
bousculant tout et tout le monde lors d’une séquence de dédicace
pour parvenir jusqu’à son idole et engueulant vertement au
passage les malheureux des deux sexes par elle jugés coupables de
ne pas lui céder le pas aussi rapidement qu’elle ne l’aurait
souhaité (Vas-y Maman, Nicole de Buron, 1978). Dans le
portrait collectif consacré début 2007 par Gauthier Fages de
Bouteiller et l’auteur de ces lignes aux Comédiens de la
Huchette, elle était assurément – bien que la plus âgée –
l’une des trois ou quatre actrices crevant l’écran avec le plus
d’évidence. Elle avait été la seule, également, à réclamer
une nouvelle prise, au prétexte qu’elle avait commis deux ou
trois erreurs d’ordre historique et que " Nicolas
(Bataille) ne serait pas content " (sic), avant de tout
redire absolument à l’identique : fine mouche, elle
avait jeté un coup d’œil discret aux premières images sur l’écran
de contrôle, ne les avait pas trouvées à son goût et avait eu
recours à ce prétexte, proféré avec suffisamment d’aplomb et
de tranquillité pour être crédible, à seule fin d’être refilmée
de façon plus flatteuse que précédemment et, accessoirement, de
refaire face caméra, une sortie encore plus spectaculaire que la
première fois. D’aucuns, estimant qu’elle avait largement passé
l’âge de jouer les coquettes, fût-ce pour la bonne cause,
l’auraient traitée de vieille cabotine. Nous, nous l’avions
simplement trouvée classe. Un peu chiante, mais classe.
Remerciements à
Gonzague Phélip, historiographe du Théâtre de la Huchette. |