L'@ide-Mémoire

ENCYCLOPÉDIE DU CINÉMA FRANÇAIS

 

 

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Dictionnaire critique
 

 

BELLE DE JOUR

ANNÉE PR : 1966. PAYS ORIG : France/Italie. PR DÉL : Robert Hakim & Raymond Hakim (Paris Film Production). RÉ : Luis Buñuel. SC, AD & DIAL : Luis Buñuel & Jean-Claude Carrière, d’après le roman éponyme de Joseph Kessel, de l’Académie-Française, publié aux Éditions Gallimard. IM : Sacha Vierny (Eastmancolor). CAD : Philippe Brun. ASS OP : Pierre Li & Lionel Legros. PH PL : Raumond Voinquel. SON : René Longuet, assisté de Pierre Davoust (Enregistrement Poste Parisien). MONT : Louisette Hautecœur. DÉC : Robert Clavel, assisté de Marc-Robert Desages. COST : Hélène Nourry. Catherine Deneuve est habillée par Yves Saint Laurent. MAQ : Janine Jarreau. COIF : Simone Knapp. ASS RÉ : Pierre Lary & Jacques Fraenkel. SCR : Suzanne Durrenberger. RÉG GÉN : Marc Goldstaub. ENS : Maurice Barnathan. ACC : Pierre Roudeix. AFF : Ferracci. DIR PR : Ralph Baum. ADM PR : Robert Demollière. SECR PR : Jacqueline Delhomme. PR : Paris Film Production (Paris) & Five Film Rome (Rome). DIST : Valoria Films (Paris). STU : Studios Franstudio (Saint-Maurice). EXT : Paris & région parisienne. TIR : Laboratoire GTC. EFF SPÉ : Lax. DÉB : 10/10/1966. PP : 24/05/1967. DUR : 102 mn. VISA : 32.317. TITRE ITALIEN : Bella di giorno.
AVEC : Catherine Deneuve (Séverine de Sérizy, dite Belle de Jour), Jean Sorel (Pierre de Sérizy), Michel Piccoli (Henri Husson), Geneviève Page (Mme Anaïs), Pierre Clémenti (Marcel), Françoise Fabian (Charlotte), Macha Méril (Renée), Muni (Pallas), Maria Latour (Mathilde), Claude Cerval (le chauffeur de taxi), Michel Charrel (le domestique & le plombier), Iska Khan (le client asiatique), Bernard Musson 1 (le majordome du Duc), Marcel Charvey (le professur Henri), François Maistre (le professeur masochiste), Francisco Rabal (Hippolyte), Georges Marchal (le Duc), Francis Blanche (M. Adolphe), Adélaïde Blasquez (Maria, la bonne), Brigitte Parmentier (Séverine enfant), Dominique Sauvage (Catherine), Marc Eyraud (le barman), Louis Viret (l’encaisseur), Pierre Marsay (l’interne), Claude Salez (l’agent), Stéphane Bouy & Antonio Passalia (les trafiquants), Pierre Vaudier & Albert Daumergue (deux chirurgiens), Luis Buñuel (un consommateur au café près de la Cascade et un passant sur les Champs-Élysées), D. de Roseville.

1. Bernard Fresson est parfois cité, par erreur, en lieu et place de Bernard Musson.

PALMARÈS :

Lion d’Or 1967 à la Mostra Internazionale d’Arte Cinematografica de Venise.

Le thème de la prostitution occasionnelle devait être à la mode à deux ans de la formidable explosion de Mai 68, encombrant héritage… Tandis que Godard, toujours en avance d’une révolution ou deux, brosse via Deux ou Trois Choses que je sais d’elle… une chronique aux accents documentaristes de la ménagère de banlieue complétant le budget familial en faisant des passes de 4 à 6, Buñuel, à l’instar de Kessel, déplace le fond du problème sur le terrain des 5 à 7 et des frustrations bourgeoises qui en constituent souvent l’origine : Séverine, incarnation absolue de la Parisienne rive Gauche, ne se prostitue pas pour l’argent, mais pour suppléer aux carences d’une existence à la fois confortable (elle ne manque objectivement de rien) et aliénante (sa vie de femme mariée ne lui a pas permis de se mettre en règle avec ses désirs les plus intimes).

C’est bien l’histoire d’une quête – sur fond de refoulement permanent – que Buñuel retrace en une heure et demie, Séverine cherchant à retrouver la souillure " originelle " là où d’autres passent leur existence entière à tenter de retrouver l’innocence perdue. Recherche nécessairement voué à l’échec, " l’Autre " (le client, interchangeable malgré la multiplicité des profils et des perversions) se trouvant lui-même, presque par définition, confronté à l’unicité de ses propres fantasmes. Lorsque après moult déceptions, Marcel-Clémenti apporte à Séverine la révélation tant attendue, c’est au prix d’un amour inconditionnel mais destructeur (il y laissera la vie et Pierre, ses yeux et ses jambes) dans lequel sombreront les dernières illusions de la jeune femme. Trente-six ans auparavant, Buñuel tournait le très subversif L’Âge d’or, manifeste surréaliste s’il en fût, et, ce faisant, semblait s’approprier l’aphorisme de Breton selon lequel la beauté serait convulsive ou ne serait pas. Une vie d’homme et trente films plus tard, la beauté n’est plus qu’un leurre glacé, éventuellement bon à tartiner de boue, tel le visage magnifié – façade rassurante et trompeuse – de Catherine Deneuve (cela vaut aussi pour Jean Sorel), et que seule la perversité conjuguée des anges noirs du film, Anaïs, Marcel et Husson, parviendra, non sans mal, faire voler en éclats.

Justine et Juliette à la fois (1), et on ne dira jamais à quel point, d’Âge(s) d’or en Voie(s) lactée(s), le spectre du Divin Marquis (2) n’a cessé de tarauder l’auteur du Charme discret de la bourgeoisie, Catherine Deneuve, dont le mythe semble être né avec ce film, est une Séverine rêvée en même temps que, loin devant Jeanne Moreau, Ángela Molina et Carole Bouquet, l’incarnation la plus parfaite – avec Silvia Pinal – de l’héroïne buñuelienne. Autour d’elle, le cinéaste a su composer une affiche de rêve mêlant habitués (Michel Piccoli, au top, bien meilleur chez Don Luis qu’il ne le sera jamais chez Sautet ou Deville en acteur-parangon de la Qualité française Seventies (3) ; François Maistre, étonnant de folie contenue ; Georges Marchal, marmoréen et impavide ; Bernard Musson, impénétrable et insolite ; Muni, ébouriffante, placide et résignée) et nouveaux venus (Pierre Clémenti, hallucinant et habité ; Jean Sorel, dont le talent n’a jamais été aussi bien mis en valeur dans un film français, hormis peut-être, à contre-emploi, dans Rosa La Rose, fille publique), offrant de surcroît à Francis Blanche et à Geneviève Page (probablement la comédienne la plus honteusement sous-exploitée de toute l’histoire du cinéma français) les meilleurs rôles de leurs carrières respectives. On pourra certes reprocher à l’ensemble de sacrifier la chair au profit d’une cérébralité surenvahissante, de privilégier de la première à la dernière bobine la signifiance au détriment du sang et du foutre, mais Buñuel n’a jamais prétendu non plus être Fellini, Ferreri ou même Pasolini, le contraire se serait su.

Grand film glacé sur le désir, ce dernier fût-il à la fois omniprésent dans le propos et sous-représenté à l’image, Belle de Jour n’en reste pas moins, plus de quarante ans après sa sortie, un film essentiel en même temps que l’un des plus grands crus du cinéma buñuelien. En dépit de dialogues (Carrière…) pas toujours au niveau – il est vrai assez élevé – du postulat scénaristique et de la mise en images. Beaucoup grâce à Catherine Deneuve, l’absolue totalité de ses partenaires et une direction d’acteur au cordeau. Peut-être enfin, et surtout, parce qu’en persistant envers et contre les modes à suggérer l’érotisme au lieu de le montrer (c’est, le génie en plus, ce qui sépare Buñuel – et, parfois, Benazeraf – de Vadim, de Rollin ou de Pécas), l’auteur de Simon du Désert a su tirer d’un médiocre roman de gare, fût-il estampillé Kessel, l’une des œuvres de cinéma les plus censément (et les plus intelligemment) érotiques des quarante ou cinquante dernières années. Armel de Lorme.

1. Après avoir, quatre ans auparavant, prêté ses traits à une Justine dont les infortunes avaient été transposées sous l’Occupation par Roger Vadim dans un de ses films les plus ridicules (Le Vice et la Vertu, 1962).

2. Symptomatiquement, c’est le même Michel Piccoli – il sera par la suite de tous les Buñuel-Silberman – qui, face à Thérèse enchaînée (Christine Simon, vedette de feuilletons familiaux produits par l’ORTF), prêtera ses traits au Marquis de Sade dans La Voie lactée.

3. Il a repris le rôle d’Henri Husson, exactement quarante ans après le tournage du film de Buñuel, dans une " suite " franco-portugaise de Belle de Jour réalisée par Manoel (Belle toujours, 2006), Bulle Ogier y interprétant quant à elle le rôle de Séverine "vieille".

LIENS VIDÉO :

www.youtube.com/watch?v=FJXLCYZMGQ8 (bande-annonce en anglais).

www.youtube.com/watch?v=h2uwFlQDtPA (la "kolossale" finesse du grand Francis).

© Armel de Lorme