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ENCYCLOPÉDIE DU CINÉMA FRANÇAIS

 

 

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The Last Empress

Figure glamour et inclassable de l’industrie cinématographique nippone, Lady Miwa a célébré, l’an dernier, ses « cinq décennies plus une » de carrière : cela méritait bien l’hommage en couleur et en 3 D rendu, courant  2010, à la dernière véritable grande dame de la scène et des écrans japonais par le cinéaste (français) Pascal-Alex Vincent, découvert à la faveur d’une récente diffusion sur une chaîne multithématique cinéma bien connue et enfin édité au format DVD.

Ce n’est un secret pour personne, la sulfureuse/vénéneuse héroïne du cultissime Lézard noir (Kinji Fukasaku, 1968 - voir l'extrait) est interprété par un homme, Akihiro Miwa, dont le 52 mn à lui (elle ?) consacré par Pascal-Alex Vincent il y aura bientôt trois ans retrace l’itinéraire de façon à la fois circonstanciée, érudite et respectueuse, sur fond d’allers-retours incessants entre l’adolescent androgyne reprenant avec succès – ou l’inverse – un tube planétaire de Gilbert Bécaud et la dame plus toute jeune en robe lamé or et chevelure du plus beau jaune, pour autant infiniment classieuse, digne de respect et jamais ridicule, l’actrice cinéma rompue à tous les impératifs du septième art venant jouer les guests stars chez Takeshi Kitano (Takeshis, 2005) et la comédienne de doublage finement chaussée et arborant le béret de travers comme les stars hollywoodiennes du temps jadis (Bette Davis, sortez de ce corps !), débarquant au studio pour doubler la louve de Princesse Mononoké, l’égérie de Yukio Mishima comme de Shuji Terayama et l’équivalent japonais d’Edwige Feuillère reprenant indistinctement sur les planches, entre deux tours de chant, le rôle de Marguerite Gautier ou celui de reine de L’Aigle à deux têtes. Au fond, le parcours éminemment atypique-éclectique de Miwa n’est pas sans rappeler, à bien des égards, celui de la Française Marie France : toutes deux ont fait leurs classes dans les salles de quartier et les cinémathèques, flirté jusqu’à outrance avec l’Underground, appris à (ré)concilier excellence et populaire, et su redonner un nouveau souffle aux répertoires chantés de Marie Dubas ou d’Édith Piaf. On peut concevoir pire en terme de références.

Assise au bar d’un hôtel chic, une dame en jaune, souriante, sereine, posée, déroule le fil(m) de ses mille et une vies face à un jeune réalisateur capable de faire la part des choses et de trouver la juste distance entre le respect et l’admiration, la discrétion et la fascination, l’humour délicat – son interlocutrice, elle non plus, n’en manque pas – et le refus de la complaisance, du voyeurisme ou, même, de la connivence facile. Ce documentaire est un pur joyau, l’artiste hors norme – en terme d’engagement politique et social aussi – qui l’a inspiré, pareillement, le DVD qui en découle un modèle du genre. Action. Moteur. Bienvenue chez l’impératrice Miwa.

BIOGRAPHIE D’AKIHIRO MIWA

Par Pascal-Alex Vincent.

Akihiro Miwa est né le 15 Mai 1935 à Nagasaki. Sa famille tient un café adossé à des bains publics, tous deux tenus par ses parents. Miwa et son frère ainé sont envoyés dans une école où enseignent des missionnaires venus du monde entier. Nagasaki est alors un port de commerce considéré comme le portail d’entrée du Japon, et la ville est un haut lieu de culture. Miwa apprend le Français après d’un prêtre venu de France, puis s’initie à d’autres langues étrangères en fréquentant les nombreux cinémas de la ville.

Miwa s’appelle encore Akihiro Maruyama, et sa maison est située en face d’un magasin de musique. Le jeune homme prend goût très tôt la musique classique, mais aussi à la chanson française, très en vogue dans les annéees 30-40.

De Nagasaki à Tokyo

Les parents de Miwa ne survivent pas aux bombardements de Nagasaki de 1945. Le jeune garçon  est alors adopté. En 1950, il quitte Nagasaki pour intégrer l’Université Nationale des Arts et de la Musique de Tokyo. Parallèlement, il s’essaye à la chanson dans les cabarets où viennent se distraire les troupes américaines. Mais Miwa est contraint d’abandonner ses études pour retourner à Nagasaki afin d’aider ses parents adoptifs.

En 1952, Miwa a 17 ans et décide de retourner à Tokyo pour vivre sa vie d’artiste. Il se fait engager comme hôte d’accueil au Brunswick, un café littéraire, où il croise Mishima pour la première fois. On le pousse à monter sur scène, où Miwa reprend des classiques d’Édith Piaf, Yvette Guilbert ou Marie Dubas. Son style androgyne fait fureur, et il devient vite la sensation du quartier de Ginza, en même temps que se développe son amitié pour Mishima.

En 1957, il signe pour son premier disque : une reprise de Meque Meque de Gilbert Bécaud, que Miwa a lui-même adapté en Japonais. Le disque est un énorme succès.

Acteur et chanteur

Les studios de cinéma s’intéressent trés vite à lui, et Miwa tourne plusieurs films pour la Daiei et la Toho, parmi lesquels Courant chaud de Yasuzo Masumura (1957). L’année 1959, il tourne dans pas moins de six films.

Miwa entreprend plusieurs tours de chant à travers le Japon, puis s’offre son premier séjour en France au début des annéees 60, où il habite le Quartier Latin.

De retour au Japon, lassé du peu de rôles qu’on lui propose, il décide de s’habiller en femme, et de réinvestir la scène de Ginza, le quartier nocturne de Tokyo. Ses spectacles au Gin Paris font sensation, et mettent à l’honneur le répertoire français, que Miwa affectionne particulièrement.

Mishima lui propose alors de reprendre sur scène le rôle-titre de sa pièce Le Lézard Noir, où il incarne une voleuse de bijoux collectionneuse d’art. La pièce se joue à guichets fermés en 1965, et vaudra à Miwa d’être approché par la scène underground qui fait sensation dans le quartier de Shinjuku. L’enfant terrible de la marge japonaise Shuji Terayama lui écrit un rôle dans la pièce Le Bossu d’Aomori, que Miwa joue cette même année.

Icône de l’underground, puis vedette de studio

En 1966, Miwa remonte sur scène pour un spectacle chanté où il partage la vedette avec Mishima, avec qui il interprête le célèbre duo Le matelot qui fut tué par des roses en papier - duo écrit par Miwa, et qui se conclut par un baiser entre les deux vedettes. Shuji Terayama le reconvoque pour un rôle sur mesure, La Marie-Vison (1967), qui est le succès de Shinjuku cette année-là.

La puissante compagnie Shochiku propose alors à Miwa de reprendre son rôle du Lezard Noir, dans un film qui reste deux ans à l’affiche. Il est suivi par un film avec la même équipe, La Demeure de la Rose Noire (1969), un mélodrame inspiré des films de Douglas Sirk, où Miwa incarne une mystérieuse femme fatale qui rend fou tous les hommes qu’elle approche.

Parallèlement, Miwa soutient les étudiants japonais dont les manifestations de 1968 vont durer plus d’une année, et cache certains étudiants recherchés par la police.

Mort de Mishima et chansons sociales

En novembre 1970, Yukio Mishima se suicide en public. Miwa perd un ami trés cher, dont il a inspiré plusieurs textes. Par superstition, il change son nom Akihiro Maruyama (sous lequel il officiait jusqu’alors) en Akihiro Miwa, contre l’avis de ses proches et de son agent.

Il apparait en 1971 dans le manifeste anarchiste Jetons les livres et sortons dans la rue, film de Shuji Terayama qui sortira en France par la suite.

Puis Miwa décide de reprendre son allure d’homme, et de chanter une de ses propres compositions, la chanson sociale Yoitomake no Uta (La Complainte de l’ouvrier journalier aka La Chanson de l’ouvrier). Si le public rejette sa nouvelle allure masculine, le morceau est un triomphe – et reste aujourd’hui l’un des plus gros succès de la chanson au Japon.

Retour triomphal à Ginza

Miwa se réinstalle à Ginza, en femme, et monte plusieurs revues. Il se lie d’amitié avec le jeune Takeshi Kitano, qui donne des spectacles avec un acolyte dans un cabaret du coin. Il fait une nouvelle tentative d’apparaitre en homme dans le film musical Le Nombril du Japon (1977), dont il tient le rôle principal, mais le public ne suit pas. Il décide alors de reprendre le rôle de Judith Bliss dans la pièce du britannique Noel Coward Hay Fever (connue en France sous le titre Week-end), en 1978. Puis c’est au tour de La Cage aux Folles d’être repris(e) par ses soins, Miwa étant devenu le metteur en scène des pièces dans lesquelles il joue.

Ambassadeur du bon goût

Dans les années 80, Akihiro Miwa développe son goût pour l’écriture, et entreprend de rédiger des manuels de savoir-vivre à l’usage des jeunes filles. Il en écrit une vingtaine, qui constituent autant de succès en librairie.

Il reprend La Marie-Vison de Terayama en 1983, un peu avant la mort de son auteur.

Il continue le théatre, fait un peu de télévision, puis se fait approcher par plusieurs studios d’animation, qui le sollicitent pour sa voix particulière. On retiendra de sa carrière de « voix » ses performances pour son ami Hayao Miyazaki, pour lequel il personnifie la louve de Princesse Mononoké (1997) et la grand-mère du Château ambulant (2004).

Takeshi Kitano lui donne un second rôle dans Takeshis en 2005, mais Miwa préfère dorénavant se consacrer au théatre, en mettant en scène L’Aigle à deux têtes ou La Dame aux camélias.

Parallèlement, il anime pendant quatre ans une animation de voyance à la télévision.

Aujourd’hui, Akihiro Miwa continue ses tours de chant, systématiquement intitulés L’Amour.

En 2011, Miwa reprend L’Hymne à l’amour, sa comédie musicale retraçant la vie de son idole de toujours, Édith Piaf, qu’il interprête lui-même de l’âge de quatorze ans jusqu’à sa mort.

Pour les 45 ans du film Le Lézard Noir, Akihiro Miwa va reprendre la pièce à Tokyo à partir du 5 avril 2013.

FILMOGRAPHIE ÉTABLIE PAR PASCAL-ALEX VINCENT

1957 Courant chaud (Danryu), de Yasuzô Masumura

1957 Un printemps qui dure trop longtemps (Nagasugita haru), de Shigeo Tanaka

1958 Les titis de Tokyo et leurs filles (Tôkyô yarotu onna domo), de Ken Yoshimura

1958 Marie du quartier des fourmis (Ari no machi no Maria), de Heinosuke Gosho

1958 Être femme (Onna de arekuto), de Yûzô Kawashima

1959 Une femme libre (Mikon), de Harumi Mizuho

1959 Le Combat violent Gekitu), de Kimio Iwaki

1959 Un fille presque brutale (Taiatari suresure musume), de Toshiaki Hozumi

1959 Le train des jeunes mariés (Shinkon Ressha), de Toshiaki Hozumi

1959 Les contrastes de l’amour (Ai no nutan), de Tsuruo Iwama

1959 La distribution des rôles dans la nuit (Yoru no haiyaku), de Kôzô Saeki

1960 La fille qui s’ennuie à Ginza (Ginza taikustu musume), de Kajirô Yamamoto

1960 La geisha impertinente, 2e partie (Zoku beran me-e geisha), de Eiichi Koiishi

1961 Le village des ermites (Fûryû kokkei-tan : Sennin buraku), de Morihei Magatani

1963 Pro (Pro), de Kon Ichikawa (TV)

1964 Journal d’un prédateur (Ryôjin nikki), de Kô Nakahira

1968 Le Lézard Noir (Kuro tokage), de Kinji Fukasaku

1969 La demeure de la rose noire (Kuro bara no yakata), de Kinji Fukasaku

1970 La vengeance d’un acteur (Yukinojô Henge), de Hideo Gosha (TV)

1970 Femmes joueuses : Confrontation de gobelets (Onna tobakushi : Tsubo kurabe) de Yoshio Inoue

1971 Jetons les livres et sortons dans la rue (Sho o suteyo machi e deyou), de Shuji Terayama

1976 Masa l’idiot, Masa le menteur, Masa l’arnaqueur (Bakamasa, horamasa, toppamasa), de Sadao Nakajima

1977 Le Nombril des Japonais (Nihonjin no heso), de Eizo Sugawa

1980 L’oiseau bleu (Maeterlinck no ai tori : Tyltyl Mytyl no bôken ryokô), de Hiroshi Sasagawa (série TV) (voix)

1983 Harmagedon : la guerre des monstres (Harmagedon : genma taisen), de Rintaro (voix)

1994 Le voyage en Occident (collectif, série TV) (voix)

1997 Princesse Mononoké (Mononoke hime), de Hayao Miyazaki (voix)

1999 Le Muguet (Suzuran) (collectif, série TV)

2002 Toy Reanimator (Gangu shuriya), de Hakubun

2004 Le Chateau ambulant (Hauru no ugoku shiro), de Hayao Miyazaki (voix)

2005 Takeshis (Takeshis), de Takeshi Kitano

2005 Yoshitsune (Yoshitsune) (collectif, série TV)

BIOGRAPHIE PASCAL-ALEX VINCENT

Réalisateur et scénariste né à Montargis.

Après des études de lettres et d’histoire du cinéma à l’université Paris III, il apprend la photographie lors de son service militaire dans l’Armée de Terre à Bourges. Il se consacre ensuite à la distribution du cinéma japonais classique au sein de la société Alive. Pendant près de dix ans, il va ainsi participer à la découverte et à la diffusion en France des films de Mizoguchi, Ozu, Kurosawa, Naruse, Ichikawa et bien d’autres.

En 2000 il réalise Les Résultats du Bac, un court métrage sélectionné dans de nombreux festivals, diffusé à la télévision (France 2, entre autres), et édité en DVD. Le film traite du destin de trois adolescents et emprunte autant à la comédie musicale hollywoodienne qu’à l’animation japonaise.

Ce film marquera le début de sa collaboration avec la société de production Local Films. Son court métrage suivant, Far West (2002) est à nouveau un succès de festivals, et est diffusé sur Arte, comme sur de nombreuses chaînes à l’étranger. Le film est d’inspiration j-pop (pop japonaise) dans son utilisation de la musique et le typage des personnages. Far West remporte plusieurs prix, dont le prix de la jeunesse au Festival de Oberhausen (Allemagne).

En 2004, il signe pour Canal + Hollywood malgré lui, une comédie tournée dans le cadre de la collection Voilà comment tout a commencé. Le Festival de Cannes sélectionne ensuite Bébé Requin, court métrage en compétition pour la Palme d’Or en 2005. Le film a des intentions expérimentales inhabituelles chez le cinéaste. Il s’essaie au film d’animation en 2007, avec Candy Boy, court métrage en forme de déclinaison de la série japonaise Candy. Le film est présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en Mai 2007.

En 2008, Pascal-Alex Vincent termine Donne-moi la main, son premier long métrage inspiré des grands road-movies américains des années 70. Le film sort en France en Février 2009, puis dans une dizaine de pays étrangers.

Parallèlement, Pascal-Alex Vincent continue de contribuer à la diffusion du cinéma japonais en France, en collaborant à l’édition en DVD des films de Mizoguchi, Ozu ou Kurosawa, pour lesquels il écrit des livrets ou réalise des suppléments.

GENERIQUE

MIWA : À LA RECHERCHE DU LÉZARD NOIR

SCÉNARIO, RÉALISATION ET NARRATION Pascal-Alex Vincent

IMAGE Alexis Kavyrchine

MONTAGE Cédric Defert

PRODUCTION Local Films (Paris), 9 Miles (Tokyo), Kirei (Tokyo)

2010 - NB et Couleurs.

DUREE : 52’.

© Armel de Lorme