L'@ide-Mémoire

ENCYCLOPÉDIE DU CINÉMA FRANÇAIS

 

 

Retour
L'@ide-Mémoire
Actualités
 

 

Kristov Leroy

ROCK AND ROLL SUICIDE

Bilan des courses un peu plus d’un mois après la sortie du premier livre de Kristov Leroy : un microbuzz qui aura fait long feu, quelques posts outrés sur la Toile remettant en cause des propos tenus non pas dans l’ouvrage concerné – le niveau de réflexion et le style des Internautes concernés confirmant qu’ils n’achètent jamais de livres, pas même le Bécherelle – mais lors d’interviews en ligne, et que l’on pourrait résumer à « on ne touche pas à Soan/Saison 7, il a vraiment chanté dans le métro, c’est méchant de prétendre le contraire, vilain, jaloux, aigri (bla-bla-bla) ». Autant dire que la visibilité de Dans la secte « Nouvelle Star », sorti fin mars, aura duré ce que dure l’intérêt des masses face à la soixantième tentative de come-back ratée de Mallaury Nataf ou au scoop d’une nouvelle hospitalisation de Loana/mise en garde à vue de Samy Naceri. Depuis, il s’est passé un milliard de choses passionnantes (ou moins) : talonnées de près par Jérôme Cahuzac et Claude Guéant, Frigide Barjot et Christine Boutin ont tenu le pavé pendant un mois, Nabilla a écrasé son chien en s’asseyant dessus et craché (ou pas) sur un agent SNCF, Morgane et Sabrina des Vosges ont obtenu la garde alternée d’un seul cerveau pour deux, Alice Dona a pris Laurent Boyer la main dans le sac et lui a donné son congé tout en continuant à s’imaginer vieillir avec lui, ce qui nous ramène naturellement à Raphaëlle Ricci – la seule chanteuse au monde qui ne devrait jamais exprimer le moindre avis sur un chanteur, au regard d’une discographie se résumant à un unique mais honteux 45 tours – et de là à Kristov Leroy. Le même qui, en 2008/2009, rêvait de lui suçoter langoureusement le cerveau et est sans doute parvenu à ses fins : après un sixième et dernier mandat à la Star Academy, la dame a passé un certain temps, elle l’a raconté par la suite 1, en maison de santé, de repos, un truc approchant…

Avec le recul, et même sans, il y avait deux façons de percevoir le candidat Kristov lors des quatre ou cinq premiers prime de la saison 6 de la Nouvelle Star : un électron libre capable du meilleur comme du pire et pouvant osciller à volonté du registre « rebelle lisse mais torturé » au créneau « poète urbain mi-grunge, mi-maudit », ou a contrario, le seul et unique candidat non fake, mais en retour le plus étonnant et le plus inspiré, d’une promotion de poseurs en tout genres elle plus formatée que les cinq précédentes réunies. Le dernier prime, en première lecture désastreux, auquel le candidat Kristov Leroy ait participé résume bien ce paradoxe : sa reprise (?) imposée d’un médiocrissime tube des années 80 pouvait indistinctement passer pour l’acte manqué le plus désastreux jamais accompli au cours d’un télécrochet ou pour un magnifique hold-up ponctué d’une phrase destinée à faire date, et qui, pour le coup, a fait date : le pot de chambre surprise du candidat fraîchement évincé aura, sur la durée, fait oublier jusqu’à l’urinoir de Duchamp remis au goût du jour un an plus tôt par Julien Doré. Formulé autrement : en matière de téléréalité, le pipi reste moins vendeur que le caca. Moins fédérateur, moins consensuel, mais plus vendeur. Parce que plus proche du concept même de téléréalité musicale ?? Pas impossible.

Il n’empêche… Au printemps 2008, un grain de sable a commencé à sérieusement gripper la machine trop bien huilée d’un programme se voulant de plus en plus élitiste. La caution théorique de Philippe Manœuvre n’y a rien changé, dont trois années de coups de cœur successifs se seront transformés en autant de pétards mouillés. Les décolletés vertigineux, les coupes de cheveux à géométrie variable et les commentaires so pertinent d’une popeuse en mode bonne copine défraîchie, bouffie et surexcitée non plus : cinq ans plus tard, le grain de sable est devenu le Ténéré, le caca de Kristov Leroy, un pavé dans la mare chiffrable en pages (275) comme en dommages collatéraux. Ce n’est pas à proprement parler un jeu de massacre, mais, pour autant, personne n’en sort indemne, production, jurés et stars hologramiques confondus.

Formulé sans minauderie aucune, notre sympathie à l’encontre de Kristov Leroy ne tient pas davantage à ses supposés embarras gastriques passés qu’au fait qu’il ait survécu – non sans mérite – à quatre ou cinq séances de relooking sauvages orchestrées par une modasse approximative en mode Polpot, de celles qui bavent sur les fringues des autres, forcément, mais s’avèrent au quotidien incapables de manager proprement la nuance de leurs racines capillaires, toujours un peu trop foncées pour quiconque se présente à la face du monde comme blond de naissance, et l’est surtout de l’intérieur. Encore moins à la compassion que n’importe qui possédant un cœur est censé éprouver à l’égard d’un garçon plus doué que la moyenne installé à califourchon sur une branche et sciant la branche avec ardeur et conviction tout en sachant qu’il est assis du mauvais côté de la scie. Et quelle(s) scie(s) : Mon fils, ma bataille. Femme libérée. Confidence pour confidence. L’élimation logique du futur père lui aura du moins évité d’avoir à enchaîner, la semaine suivante, sur Prendre un enfant par la main réorchestré par les musiciens d’Olivier Schulteis, avec projection d’échographies en fond d’écran et bruits amplifiés de cœur de fœtus en train de battre. C’est peu dire qu’il l’aura échappée belle (et son bébé aussi). Le programme musical le plus novateur (ou non) du moment, idem. Le spectateur, fût-ce le moins regardant, itou.

Non, en 2008, nous aimions Kristov Leroy parce qu’il proposait (déjà) de très excitantes compos sur Myspace, parce qu’il était le seul à sonner vrai dans un programme qui commencer déjà à sonner aussi faux que la Star Academy toutes saisons confondues, parce qu’il était capable de faire croire les doigts dans le nez au spectateur qu’il prenait réellement son pied en présentant Amsterdam dans sa version Bowie lors de l’épreuve des sélections (grand mot : l’épreuve, la vraie, c’était de se manger à chaud la dissertation wandesque totalement hors de propos si s’ensuivit ce jour-là) et qu’en fait ce n’était pas le cas, parce qu’il était à la fois godiche et punk, parce qu’à sa manière, et toutes proportions gardées, il savait déjà donner à peu près autant de parfum au fumier que Julien Doré, la maîtrise en moins, ce qui en rajoutait au reste une sérieuse louchée dans le côté attachant. Et puis enfin, et surtout, parce que n’importe quel spectateur doté d’une seule moitié de cerveau aurait pu (dû) comprendre qu’il était non seulement le seul élément non bidon de sa promo, mais en outre le seul à pouvoir légitimement prétendre au statut d’artiste, et que cela, forcément, ne nous avait pas échappé. Cinq ans, un groupe rapidement dissous, quelques semi come-backs, une kyrielle de concerts et un premier EP solo plus tard, nous l’apprécions encore plus d’avoir, le premier, jeté dans la mare le pavé évoqué plus haut.

Officiellement né de la rencontre improbable, dans un bar de Beauvais, du chanteur déféqueur le plus connu de France – pour qui voudrait n’en retenir que l’aspect le plus réducteur et le moins passionnant – et d’un crétin alcoolisé, Dans la secte « Nouvelle Star » est un brûlot formidable, captivant, et, il faut bien l’avouer, salutaire, tracé au scalpel par un observateur aigu, ayant tu vu, tout vécu, tout retenu, tout… digéré. Censément plus intelligent que la moyenne. Plus couillu, aussi, comme le sont généralement ceux qui n’ont plus rien à perdre. C’est parce qu’il n’avait plus rien à perdre, c’est consigné noir sur blanc désormais, que la chanteuse barbue préférée d’André Manoukian, glabre depuis peu, a sabordé son dernier prime. Avant. Pendant. Après. En parfaite connaissance de cause.

Avec le recul, c’était ce que la chanteuse barbue mais plus autant qu’au départ avait de mieux à faire. Ça ou se mettre en mode lèche-cul et remercier tout le monde avec un sourire un peu triste, comme l’ont fait si bien, avant, pendant, après, d’autres candidats soucieux de ne se mettre personne à dos dans le métier, des fois qu’on les rappellerait, trois ans ou une vie plus tard, pour un hypothétique retour gagnant soldé, dans le meilleur des cas, par l’enregistrement d’un pauvre single enregistré à la va-vite et qu’aucun programmateur ne diffusera jamais. La chanteuse – on la comprend un peu – a préféré tirer sa révérence sur un doigt d’honneur virtuel en forme de fist, certains ont crié un peu vite au naufrage, sans se rendre véritablement compte qu’en fait c’étaient les autres, tous les autres – les jurés, les six candidats restants, le chef d’orchestre, ses musiciens abonnés le reste du temps aux concerts des Enfoirés, l’animatrice, la nounou, la relookeuse-psyliste blonde à racines brunes et dents jaunâtres– qui restaient, en fait, sur le radeau de la Méduse. Cinq ans après, Amandine Bourgeois aura décroché le pire classement de la France dans l’histoire entière de l’Eurovision et accumulé les ménages sur de pauvres albums de reprises à la gloire du dernier tycoon de la variété française middle of the road, Benjamin Siksou oscillé entre compliments cathodiques émis par une Line Renaud manifestement fascinée et carrière cinématographique en dents de scie (le rêve notoire de toute star de la chanson), Lio écumé les tréfonds de programmes télévisés analogues, les tournées 80’s et les blockbusters moisis à la gloire de la même décennie, tout en continuant, inlassablement, à donner son avis sur tout et n’importe quoi. Dans tous les cas pas de quoi tirer sur l’ambulance. Pas de quoi pavoiser non plus. La téléréalité musicale est bien morte, et à lire d’un trait l’opus exquis de Kristov Leroy, on comprend aisément pourquoi : quand on se tire balle dans le pied sur balle dans le pied, c’est un peu normal, à la longue, que le sang se mettre à pisser de partout. Simplement, deux cents soixante-quinze pages plus tard, on comprend un peu mieux le pourquoi de la chose, ce qu’on ne percevait que de manière somme toute intuitive, mais qui prend tout son sel, son sens et sa saveur à la faveur d’un témoignage fourni, circonstancié, minutieux et pas dupe l’ombre d’une seconde : si couleuvres il y a eu, elles ont été digérées, le temps a fait son œuvre, et le chanteur mal-aimé de la prod acquis la bouteille qui lui faisait encore un peu défaut au printemps 2008. En candidat sacrifié n’ayant pas encore tout à fait compris que dans certains programmes télévisés-phares, la qualité d’une performance musicale se mesure essentiellement en hectolitres de laque et de gel coiffant, il était déjà plus qu’attachant. En mode Daria, narrateur sec et précis, caustique et distant, il est à proprement irrésistible. Au surcroît, il écrit fort bien et connaît de toute évidence le poids exact des mots, au milligramme près. À l’heure des « Téléphone-maison-salle de bains-shampooing-cheveux » que l’on sait, voilà qui repose l’oreille, et agresse moins violemment l’œil qu’un tweet mal relu émis par le souillon de la syntaxe bien connu marié depuis quelques années au fils de Tina Turner.

La question, à ce stade, n’est même plus de savoir dans quelle mesure le témoignage apporté tout au long de Dans la secte « Nouvelle Star » est (ou non) absolument conforme à la réalité des faits. D’abord, parce que l’expression téléréalité en soi est, depuis belle lurette, à près aussi crédible que certain ex-ministre de la République jurant la main sur le cœur que non il n’a pas de compte planqué en Suisse, jamais, ou qu’une ex-jet setteuse en délicatesse avec son bâilleur social expliquant que non, il n’y a jamais eu d’homophonie à la Manif pour tous ! Ensuite, parce que la structure de production de la nouvelle formule n’est plus la même que celle qui a sévi de 2003 à 2010, et qu’aussi vrai que la sortie du brûlot kristovien est passée relativement – injustement – sous-aperçue au moment de sa sortie, personne (maîtres d’œuvre, jurés, ex-candidats, musiciens, psyliste) ne semble s’être porté véritablement en faux contre les assertions de son auteur. À l’heure où le moindre pet de travers génère traditionnellement une avalanche de règlements de comptes par voie de presse et sur la Toile (Mimie Mathy vs. Jean Rochefort, Mimie Mathy vs. Babette de Pouget, Nicolas Bedos vs. Tristane Banon, Tristane Banon vs. Nicolas Bedos, Thomas Vitelio vs. Ayem Nour, Booba vs. La Fouine), ça en serait presque inquiétant.

De trois choses l’une : ou la téléréalité n’intéresse plus du tout les médias, ce qui serait un rêve, mais ne rêvons pas trop non plus, ou plus personne, sauf Jean-Marc Morandini et nous, ne se soucie de Kristov Leroy, ce qui serait dommage parce qu’il en a sous le pied et pas qu’un peu, ou personne n’a trouvé le temps de lire son livre, ce qui serait encore plus dommage, parce que ce n’est pas tous les jours que, toutes proportions gardées, Kafka s’invite sur M6. Dans tous les cas de figure, on reste en droit de se demander comment et pourquoi aucun journaliste ayant été amené à interviewer Amandine Bourgeois avant l’Eurovision (après une 23ème place, on se bouscule forcément un peu moins) n’ait cru devoir lui poser la seule question présentant, actualité kristovienne oblige, un semblant d’intérêt : a-t-elle vraiment remporté la saison 6 de Nouvelle Star parce que le gagnant choisi par la production (Benjamin Siksou) ne voulait pas gagner 2 ? Certains de nos confrères ont bien repris, comme par inadvertance, un bref passage faisant état d’appel aux votes poursuivi à l’antenne avec huissier de justice en coulisses, son enveloppe scellée sous le bras, et les choses en sont restés là. Secte ou non, équipes renouvelées ou pas, gageons que la Nouvelle Star version 2.0 a encore de beaux jours devant elle. Grand bien lui fasse. Mais dans la troisième et dernière hypothèse, et tout en souhaitant vivement qu’elle soit erronée, on est en droit de trouver dommageable le peu de crédit accordé à ce qui n’est pas seulement une bombe à retardement au mécanisme précis et redoutable, mais bel et bien un premier livre laissant augurer du meilleur pour la suite… Si suite il y a.

Parce qu’au fond, l’une des multiples raisons qui nous ont fait estimer Kristov Leroy hautement fréquentable dès ses premiers pas cathodiques et sans présumer une seconde de son (long) post scriptum tardif et d’autant plus passionnant à l’aventure Nouvelle Star, c’est que non content d’avoir émis en son temps l’hypothèse courageuse de grignoter lentement le cerveau de Raphaëlle Ricci au mépris des prions, et fait resurgir ce que les ors du programme-phare de M6 pouvait receler, sous la dorure, de vulgarité crasse (un peu comme Truman Capote avec Prières exaucées, la comparaison peut sembler excessive, elle est tout sauf gratuite), il aura pondu de main de maître le recueil de souvenirs le plus vachard, le plus acide, le plus maîtrisé et probablement l’un des mieux écrits jamais publiés en France depuis un bail. Respect à lui et bonne continuation pour l’après. Deux ou trois (ou plus) albums, tant qu’à faire aussi excitants que le EP sorti il y a quelques jours. Un premier roman ensuite, dans lequel d’autres monstres ordinaires, pire que les précédents, demanderaient ingénument, entre autres joyeusetés de bon aloi, à un futur père imminent d’imaginer la mort de son enfant pas encore né, histoire de paraître davantage ému face à la caméra. Maintenant qu’on sait que de tels monstres ordinaires existent aussi dans la vraie vie…

1. Raphaëlle Ricci, Je ne chanterai pas ce soir, Flammarion, 2009.

2. Assertion n'engageant certes que son auteur, mais que, visiblement, aucun des deux principaux intéressés (Amandine Bourgeois et Benjamin Siksou) n'a cru devoir démentir publiquement à ce jour. 

Kristov Leroy, Dans la Secte « Nouvelle Star », Éditions Jacob-Duvernet, 2013, 275 p., 20 €.

Discographie : Kristov Leroy, The Commoners, EP 4 titres, 2009 ; Kristov Leroy, L’EP, 2013.

Crédits photos : (1) Frédéric Ballart, (2) Stéphane Portier, (4) Florentin Crouzet-Nico, (5) François Berthier

 

Armel de Lorme  

© Armel de Lorme