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ENCYCLOPÉDIE DU CINÉMA FRANÇAIS

 

 

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Jacqueline Delubac

Photo extraite de Les Perles de la Couronne (Sacha Guitry et Christian-Jaque, 1937, DR).

Véritable nom : Isabelle Jacqueline Basset.

Née à Lyon (6ème) le 27 mai 1907.

Mariée à Alexandre Georges Pierre Guitry, dit Sacha Guitry du 21 février 1935 au 5 avril 1939.

Veuve de Mihran Ékanyan, épousé en 1981.

Décédée à Créteil (Val-de-Marne) le 14 octobre 1997.

De 1931 à 1938, sept années de travail incessant et harassant au côté de son illustre époux épuisèrent peu à peu l’énergie de cette ravissante brune aux yeux bleus et au sourire irrésistible. On la vit alors dans onze films et, sur scène elle mit son élégance reconnue au service d’une vingtaine de rôles soit créés, soit repris. Elle rêvait d’une certaine liberté qu’on lui refusait et finit par s’envoler de la cage dorée où Sacha l’emprisonnait. Palmarès éblouissant que le sien mais qui ne convainc pas tout le monde, aujourd’hui encore. Récemment apparut une intéressante plaquette, signée Jean-Laurent Cochet, dont on connaît l’amour qu’il porte à l’œuvre de Guitry. Il sait en extraire les sucs et remettre en pleine lumière des textes oubliés. Dès qu’il évoque l’apparition de Jacqueline, le ton change. Cochet se hérisse, ajuste ses flèches et les décoche. Les films de Guitry sont délicieux, « mais il y a Delubac. » Haro sur celle qui prétendait succéder à la volage Yvonne Printemps. L’exécution est implacable : « Des yeux vides, un timbre mièvre, une articulation niaise », enfin « l’impression qu’elle donne de ne pas comprendre ce qu’elle dit est si poignante qu’on en vient facilement à se dire qu’elle ne comprenait effectivement rien. » On s’étonne alors de l’influence qu’elle eut sur l’orientation cinématographique de Sacha. C’est elle qui exhorta l’écrivain à tenter le pari de propager son nom hors des limites boulevardières et parisiennes, de révéler l’intelligence d’un travail que critiques et cinéastes évaluaient d’un œil torve et contestaient avec entêtement. Hésitante mais courageuse lors de ses premières apparitions, elle s’aguerrit suffisamment pour effacer l’image (uniquement théâtrale) d’une Yvonne Printemps hyper idéalisée mais déjà tributaire de son âge, soumise de plus aux créations de Jeanne Lanvin, d’une haute couture un peu surannée, et abusant dans son jeu de tout un arsenal de minauderies, battements de cils, regards chavirés, voix mouillée et petits émois. La revoir dans Trois Valses, dans La Valse de Paris ou dans Je suis avec toi est une épreuve. Avec cela, acariâtre, et rancunière, et grippe-sou. Elle chantait, certes. Rossignol elle fut et le resta. Le disque permet de ressusciter l’enchantement sans qu’on soit obligé de déplorer un nez de tapir comme le souligna en son temps un méchant critique. Et les autres épouses ? Charlotte Lysès, inconsolable de l’abandon de son amour de jeunesse, se replia glorieusement sur les pièces d’Alfred Savoir. À l’écran, déjà douairière, elle maniait et ajustait des faces à mains. Glissons sur les capricieuses apparitions de Geneviève de Séréville devenue la quatrième madame Guitry qui s’ennuyait tant à jouer la comédie que peu à peu son époux dut renoncer à l’employer. Quant à la glaciale mais dévouée Lana Marconi elle se soumit de bonne grâce aux désirs de son mari : dansant (mal) et chantant (plus mal encore) la rumba du Trésor de Cantenac, ou affrontant le Tribunal révolutionnaire sous le bonnet funèbre de Marie-Antoinette. Elle sut pourtant, un jour, lancer quelques répliques pétillantes dans La Vie d’un honnête homme : c’était peut-être une comique incomprise. Le jeu de Jacqueline Delubac, en revanche, exhalait un souffle léger, moderne pour l’époque, qui rafraîchissait le texte rigoureusement rythmé et cadencé que les comparses s’appliquaient à reprendre sur le même ton. La surprise des spectateurs une fois dissipée, le malicieux courant d’air permit à Jacqueline de prouver que son talent ne résidait pas seulement dans ses toilettes. La joueuse exquise mais malchanceuse du Roman d’un tricheur (1936), la servante mutine mais maladroite du Mot de Cambronne (1936), la Marie Stuart pathétique mais digne des Perles de la Couronne 1937) revivent toujours pour le prouver, de même que la jolie blanchisseuse de Bonne Chance ! (1935), la capiteuse patronne de Désiré (id.), la journaliste charmeuse de Quadrille (id.), la pythonisse malicieuse de Remontons les Champs-Élysées (1938) et l’élégante entôleuse touchée par l’amour de L’Accroche-cœur (Pierre Caron, id.). En 1994 un album 1 rendit hommage à son élégance racée et chatoyante. Elle en écrivit la préface, les commentaires et révéla finalement la lettre que son ancien compagnon lui avait adressée en 1946. Alors en clinique, solitaire et désabusé, il espérait sa visite. Elle consentit, et Sacha touché de la revoir lui proposa de reprendre la vie d’autrefois et de se marier avec lui. Ayant orienté définitivement sa propre existence elle refusa. Quelques temps après il lui écrivit : « Je pense si souvent à toi que je ne vois pas pourquoi je ne te dirais pas le fond de ma pensée. Cette entrevue a ranimé les souvenirs qui tous sont délicieux. Ta beauté, ta droiture, ton élégance extrême et ton intelligence, tout cela m’est apparu de nouveau l’autre jour et j’ai trouvé tes yeux plus jolis que jamais. Ton attitude réservée était elle-même un témoignage exquis de tact et de pudeur. Je ne sais pas ce que l’avenir me réserve mais je te demande de bien vouloir te souvenir qu’en toutes circonstances tu peux compter sur moi… » On peut répéter alors ce que Guitry a dit lui-même : « Je crois qu’après ce mot on peut tirer l’échelle et fermer le rideau » 2. RC

Raymond Chirat.

1. Dominique Sirop, L’Élégance de Jacqueline Delubac, Éditions Adam Biro, 1994.

2 . Le Mot de Cambronne, 1936.

Extrait de Ceux de chez lui ou le Cinéma de Sacha Guitry et ses interprètes – Volume 1 (De Pauline Carton à Howard Vernon). © Armel de Lorme & Raymond Chirat, 2010.

FILMOGRAPHIE :

1927 : Éducation de prince (Henri Diamant-Berger). 1929 : Mon gosse de père (Jean de Limur). 1930 : Chérie (Louis Mercanton). Marions-nous (Louis Mercanton). 1931 : Une brune piquante (Serge de Poligny, CM). 1932 : Topaze (Louis Gasnier). 1935 : Bonne Chance ! (Sacha Guitry et Fernand Rivers). Poste parisien : Premier Spectacle de télévision (Maurice Diamant-Berger, CM). 1936 : Le Nouveau Testament (Sacha Guitry). Le Roman d’un tricheur (Sacha Guitry). Mon père avait raison (Sacha Guitry). Faisons un rêve… (Sacha Guitry). Le Mot de Cambronne (Sacha Guitry, CM). 1937 : Les Perles de la Couronne (Sacha Guitry et Christian-Jaque). Désiré (Sacha Guitry). Quadrille (Sacha Guitry). 1938 : L’Accroche-cœur (Pierre Caron). Remontons les Champs-Élysées (Sacha Guitry et Robert Bibal). 1939 : Dernière Jeunesse (Jeff Musso). L’Homme qui cherche la vérité (Alexandre Esway). Jeunes Filles en détresse (Georg Wilhelm Pabst). 1940 : Le Collier de chanvre (Léon Mathot). La Comédie du bonheur (Marcel L’Herbier). Volpone (Maurice Tourneur). 1941 : Fièvres… (Jean Delannoy). 1945 : J’ai 17 ans (André Berthomieu). 1949 : Le Furet (Raymond Leboursier). 1950 : La vie est un jeu (Raymond Leboursier). 1951 : Les Mousquetaires du Roi (Marcel Aboulker et Michel Ferry, inachevé).

LIENS VIDÉO :

www.youtube.com/watch?v=Eox6URIXU70 (extrait de Faisons un rêve…, Sacha Guitry, 1936, avec Jacqueline Delubac et Sacha Guitry).

www.ina.fr/art-et-culture/arts-du-spectacle/video/PHD99228014/jacqueline-delubac.fr.html (Jacqueline Delubac évoque Sacha Guitry au micro de Jacques Chancel à l’occasion de la sortie de son livre de souvenirs Faut-il épouser Sacha Guitry ?, 1976).

www.youtube.com/watch?v=YOPSFVlewqk&feature=related (montage d’extraits de films sur fond de tango chanté).

© Armel de Lorme & Raymond Chirat