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ENCYCLOPÉDIE DU CINÉMA FRANÇAIS

 

 

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Jean Grémillon

Dans le « Top 70 » de la colossale Encinéclopédie de Paul Vecchiali, il occupe la deuxième place du podium, juste après Max Ophuls, immédiatement avant Duvivier, loin devant le trio de tête Renoir-Guitry-Pagnol. Paradoxe : on lui doit quelques-uns – huit au moins – des plus beaux films (Maldone, Gardiens de phare, La Petite Lise, Gueule d’Amour, L’Étrange Monsieur Victor, Remorques, Le ciel est à vous, Pattes-Blanches) de l’histoire du Cinéma français, toutes époques confondues, et seuls trois titres (Gueule d’Amour, hélas en version caviardée (!), Remorques et L’Étrange Mme X) sur la quinzaine que comporte l’œuvre sont aujourd’hui disponibles au format DVD. À dire vrai, parlerait-on encore aujourd’hui de « Jean Grémillon, cinéaste », n’eût été le formidable travail entrepris à son propos par une poignée de cinéphiles convaincus, de Noël Burch (et Geneviève Sellier) à Noël Herpe, en passant par Vecchiali précisément, dont un texte assez magnifique en son genre, datant de 1981, sert de préface à l’ébouriffante anthologie de textes et propos éditée parue à l’Harmattan en novembre dernier ?

Grémillon, lorsqu’il ne tournait pas, pensait et vivait cinéma, rappelant au passage qu’il n’est peut-être de véritable quête artistique que dans le questionnement permanent (et son corollaire : l’insatisfaction). Ses écrits de cinéma s’étendant sur près de trois décennies et demie, on est assez confondu, à l’arrivée, devant l’ampleur et la richesse de l’œuvre critique, dont les quatre maîtres-mots seraient, avec une certaine évidence, « curiosité », « lucidité », « exigence » et « éclectisme » . Enthousiaste mais jamais dupe, Grémillon sait censément faire la différence entre mélodrame et mélo des familles, ce qui lui autorise les coups de cœur les plus inattendus (Le Lys brisé), revendique haut et fort son amitié pour Flaherty (l’homme et l’œuvre) et s’étonne à peine, dix ans avant sa propre disparition, de la portion congrue laissée à Jacques Feyder par l’industrie cinématographique française de la seconde moitié des années 40. Au-delà du « cas » Grémillon, cette somme critique (mais pas seulement), la plus foisonnante et, probablement, la plus passionnante éditée en France depuis des années, invite à une réflexion beaucoup plus vaste en même temps qu’elle dynamite, sans l’avoir fait exprès, bon nombre d’anthologies du même type publiées depuis des années, et dont la grande vacuité apparaît rétroactivement dans toute sa splendeur. Prises au hasard, les compilations rebaptisées « écrits de cinéma » consacrées, avec leur aval ou post mortem, à Guitry, à Pagnol, à Cocteau, voire (surtout) au François Truffaut des mauvais jours, et tout au long desquelles les principaux intéressés ne semblent jamais parler que d’eux mêmes. A contrario, la grande force du théoricien, du critique et du cinéphile Jean Grémillon est d’avoir compris, mieux que quiconque, que si toute cinéphilie repose prioritairement, par essence même, sur l’intime, on ne peut pour autant prétendre décemment parler de cinéma (ou de n’importe quel art majeur) qu’à condition de faire reculer le plus loin possible les barrières de sa propre histoire. Au final, c’est bien d’éthique, pour ne pas dire de morale, qu’il s’agit tout au long des trois cent douze pages de Le Cinéma ? Plus qu’un art !… Et c’est certainement cette même morale, ici appliquée à la démarche critique stricto senso, qui permit « sur le terrain » à l’un des cinéastes les plus maudits – et l’un des écrivains de cinéma les plus oubliés – de sa génération, d’imposer une griffe personnelle sur des œuvres de pure commande, jamais déshonorantes, ou de refuser de signer des films jugés dénaturés par leurs producteurs (Daïnah la Métisse, Pour un sou d’amour) et désavoués pour les mêmes raisons. Jean Grémillon (1901-1959) a eu les honneurs de la Cinémathèque française et du Mo.Ma au début des années 2000, ce qui commence un peu à dater : en ces conditions, à quand une nouvelle rétrospective intégrale, au 51 rue de Bercy, ou même, soyons fous, sur Cinéclassics ?

Jean Grémillon, Le Cinéma ? Plus qu’un art !…, Écrits et Propos. 1925-1959 : textes présentés et annotés par Pierre Lherminier, Préface de Paul Vecchiali. Éditions L’Harmattan, collection « Les Temps de l’image » ? 2010. 312 pages. ISBN : 978-2-296-12718-0. Prix public : 32 €.

© Armel de Lorme